Par Amélie Herenstein
On y voit Ahmad Sayed Rahman, âgé de cinq ans, amputé, danser avec sa nouvelle prothèse, très à l'aise et l'air épanoui, dans un centre orthopédique de la Croix-Rouge de Kaboul, la capitale afghane, sous les encouragements ravis du personnel médical et d'autres patients. Mis en ligne le 6 mai 2019 sur Twitter, ce film d'une vingtaine de secondes avait été vu plus de 500 000 fois en 24 heures.
Juste du bonheur
"Il est toujours en train de danser et de montrer son bonheur d'avoir une prothèse pour sa jambe", amputée juste sous le genou, souligne la mère de l'enfant, Rayeesa, rencontrée mardi par l'AFP au même centre médical. "Je suis très heureuse pour lui qu'il ait reçu cette jambe artificielle et qu'à présent il puisse être autonome", ajoute-t-elle alors que l'enfant se trémousse en cadence au son d'une mélodie locale s'élevant d'un téléphone portable. Ahmad est un "patient de longue date", explique sa physiothérapeute, Semeen Sarwari, qui travaille depuis 18 ans dans ce centre fréquenté par de nombreux amputés de guerre. "Il est venu changer (de prothèse) parce qu'il a grandi". Celle qu'il vient de recevoir est sa quatrième. "Parce que c'est un enfant et qu'il veut jouer, il veut avoir une jambe et s'adapte donc plus vite" que les amputés adultes, sourit-elle. "Il ne veut pas juste rester assis à l'intérieur".
Enthousiasme contagieux
Ahmad et ses parents, des ouvriers agricoles, sont originaires de la province de Logar, au sud de Kaboul, où les combats entre forces gouvernementales et insurgés talibans sont fréquents. "Ma fille était dehors avec lui alors qu'il n'avait que huit mois et ils ont été atteints par des balles" dans des échanges de tirs entre belligérants, raconte la mère. Les deux enfants sont restés handicapés. Mais Ahmad, dès sa première prothèse reçue à l'âge d'un an, a appris à danser et s'est montré joyeux et démonstratif, poursuit sa mère. L'enthousiasme du garçonnet est contagieux. La vidéo a attiré des centaines de commentaires saluant son courage ou offrant de l'aide. "Ceci est le sourire de la victoire sur toutes les difficultés de la vie", a réagi l'un des internautes. "Extrêmement surpris par le paradoxe entre joie et chagrin dans cette vidéo", souligne un autre.
L'année la plus meurtrière
Durant la seule année 2018, 3 804 civils ont été tués, dont plus de 900 enfants, et plus de 7 000 blessés en Afghanistan, selon l'ONU. Il s'agit de l'année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les civils victimes du conflit afghan. De tels chiffres sont "choquants", a récemment déclaré le chef de la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), Tadamichi Yamamoto, qui appelle "toutes les parties (à) faire davantage pour protéger les civils". Des pourparlers de paix sont en cours depuis des mois entre Washington et les Talibans mais ils semblent encore loin d'aboutir, ajoutant à l'angoisse des Afghans qui ignorent ce que l'avenir leur réserve. Mulkara Rahimi, également physiothérapeute au centre de la Croix-Rouge, est l'auteure de la vidéo à succès.
En dix ans d'activité professionnelle, elle dit avoir "vu beaucoup de patients" comme Ahmad. "Mais parce qu'il était si heureux de sa nouvelle prothèse, (je voulais juste) avoir un souvenir de ce bonheur. C'est pour cela que j'ai posté cette vidéo", explique-t-elle. De tels moments constituent une vraie récompense : "J'adore mon métier", sourit-elle.