* Stress post-traumatique
Par Clara Guillard
Lorsque l'avion de Stéphane Imbert perd 1 000 mètres d'altitude en dix secondes, le pilote réussit à redresser, mais se voit mourir. Déclaré en stress post-traumatique et donc inapte, il doit se reconvertir dans le civil, une épreuve pour tout militaire blessé en service. Depuis, il a créé son entreprise et embauche d'autres militaires blessés pour les aider à se réinsérer dans le civil. Car pour ceux qui ne sont plus jugés aptes au service, la reconversion professionnelle est cruciale afin de dépasser les traumatismes et vaincre le sentiment d'humiliation parfois lié à la blessure.
Une formation salvatrice
Près de 1 500 personnes ont quitté l'armée en 2020 pour "inaptitude", sur un total d'environ 200 000 militaires, selon le bilan social du ministère de la Défense. "Aujourd'hui je vais bien", sourit M. Imbert assis dans son bureau, entre différents modèles de drones et des maquettes Lego. Après son départ de l'armée, il a créé en 2015 Skybirdsview, un bureau d'étude prospère, spécialisé dans les drones, situé à Libourne, près de Bordeaux, qui mène aussi des projets plus opérationnels et de formation. "J'ai passé six mois en dépression, à essayer de me faire mal par le sport", confie l'entrepreneur. Jusqu'à ce que le hasard toque à sa porte, ou plutôt sa voisine. "Elle connaissait ma situation et elle m'a montré un reportage sur les drones. J'ai dit 'banco'." S'ensuit alors un processus de formation. Stéphane est épaulé par la CABAT, la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre.
Accompagnement renforcé
La réinsertion des militaires, blessés ou non, est préparée. Un suivi médical et psychologique est assuré et un service d'aide à la reconversion professionnelle est proposé par deux organismes : la CABAT ou Défense mobilité, une sorte de Pôle Emploi des militaires. "Le militaire est exposé à des dangers qui n'ont rien à voir avec un métier ordinaire. Vous devez être certain que la qualité de l'accompagnement sera à la hauteur de l'engagement demandé", assure Bénédicte Deley, directrice de Défense mobilité. "Un des critères de réussite de l'insertion professionnelle du militaire est de retrouver ce collectif qui le porte et qui va lui permettre d'exprimer son savoir-faire", poursuit-elle. Stéphane Imbert abonde. "Quand on est blessé, on a un sentiment d'humiliation, de culpabilité. Le professionnel influe sur le soin, cette revalorisation de soi est primordiale."
"Syndrome du Saint-Bernard"
Particularité de Skybirdsview : son personnel est entièrement composé d'anciens militaires. Sur les quatre employés, seul Jérôme Chevallier, 30 ans, n'a pas été blessé en service. Julien Lacombe et Arthur Guilluy ont tous les deux un SPT. Une démarche militante de leur employeur : "J'ai un sentiment de redevabilité, un syndrome du Saint-Bernard. Je voulais aider mes camarades et le monde du drone permet d'attaquer certains handicaps, par la capacité de déporter son regard en diminuant sa mobilité", explique M. Imbert. "C'est tombé du ciel", sourit Julien Lacombe, dont le SPT a été diagnostiqué après une mission en Centrafrique, en 2013. "Je me voyais finir mes jours en vert, j'ai mis deux ans et demi à faire le deuil de mon uniforme. A partir du moment où vous n'êtes plus une personne forte, vous êtes mis au ban." Skybirdsview lui a permis de remettre le pied à l'étrier en faisant d'abord un stage d'immersion dans l'entreprise, organisé par la CABAT. Il est aujourd'hui en CDI. "Le meilleur remède, c'est de retrouver une utilité dans la société", explique le jeune homme. Une reconversion facilitée par la culture militaire commune des employés et "l'esprit d'escadrille" que Stéphane a réussi à reconstruire au sein de l'entreprise.
«Apprendre à vivre»
Arthur, 33 ans, a traîné pendant plus de huit ans son SPT, lié à une mission en Afghanistan en 2010 : "J'ai été serein en venant chez Stéphane, car il est passé par là. Il a les bons mots pour nous relever quand on n'est pas bien le matin, qu'on a pensé à ça toute la nuit. On est forts parce qu'entre anciens militaires, il n'y a pas de quartiers, on se dit les choses." Le retour à la vie civile n'est pourtant pas toujours aussi évident et Stéphane Imbert doit composer entre une volonté d'aider et la rentabilité de son entreprise. Quatre personnes sont venues et reparties, à cause de difficultés liées à leur SPT. Pour Arthur Guilluy, le retour à la vie civile est toujours source d'interrogation. "Je n'ai pas encore trouvé ma place", confie-t-il. "Je suis rentré dans l'armée à 18 ans, je l'ai quittée il y a trois ans. Je dois apprendre à vivre."