Aujourd'hui, Philippe, vous allez tenter de nous convaincre que vous êtes l'homme invisible. C'est assez mal barré…
Oui mais j'ai des arguments. Ou plutôt des chiffres ! Si je vous dis 0,6%, vous pensez à quoi ?
C'est la visibilité des personnes handicapées dans les programmes télé ?
Gagné ! Début janvier, le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) a dévoilé, comme chaque année, son Baromètre 2017 de la diversité qui évalue la visibilité des « minorités », dont le handicap, à la télé. En 2017, seules 0,6% des personnes vues à l'écran sont concernées par le handicap alors qu'elles représentent plus de 12% de l'ensemble de la population.
Mais comment les diffuseurs justifient-ils cet écart de représentation ?
Par le manque de « télégénéité » de ce public ! Il faut également avoir à l'esprit que 80% des handicaps sont invisibles et donc pas forcément perceptibles. Ce chiffre tient compte de la possibilité pour le téléspectateur de distinguer les signes d'un handicap permanent. Mais, même prenant en compte cet argument, on ne peut pas dire que le handicap crève l'écran.
Et pourtant, le handicap peut parfois faire un carton…
Je vais vous donner un exemple récent, cette fois-ci à la télé. Le 14 mars, Mélanie, une jeune femme trisomique, relève le défi de présenter la météo après le JT de France 2. Sa prestation a connu un emballement sans précédent. Plus de 5,3 millions de téléspectateurs l'ont regardé. Et plus de 3 millions de vues sur les réseaux sociaux.
D'autres moments télés importants ?
En novembre 2017, TF1 a diffusé un téléfilm Mention particulière, sur le parcours d'une jeune fille trisomique qui passe son bac, qui a fait un carton d'audience. La retransmission des Jeux paralympiques de Rio en 2016 sur France télévisions a également fait de très jolis scores. Et puis inutile de rappeler que le film qui a battu tous les records en France, c'est Intouchables !
Il existe quelques médias spécialisés qui ont fait du handicap une ligne éditoriale à part entière. Qui sont-ils ?
Je vais vous citer quelques noms.
Il y a faire Faire Face, l'émanation médiatique de l'Association des paralysés de France.
Mais aussi Etre handicap information, également en version papier.
Récemment, L'Handispensable a également fait son apparition en format papier.
Et puis Vivre FM, qui diffuse sur le web mais est surtout une radio (93.9). Sa particularité, c'est d'être structurée en association qui propose une formation professionnelle à des jeunes journalistes en situation de handicap, en particulier psychique.
Il y a aussi handicap.fr, qui existe depuis une quinzaine d'années, seulement sur le web et réunit des millions de lecteurs qui sont pour la plupart des personnes en situation de handicap ou leurs familles mais aussi des institutionnels ou des employeurs.
Quelle est leur marque de fabrique ?
Ce sont les petites fourmis du handicap. Ils sont sur tous les coups : la mode, le sport, la politique, les nouvelles technologies. Ce champ élargi de compétences leur permet de dévoiler toutes les richesses d'une frange de la population trop souvent négligée.
Ils ont compris qu'il fallait arrêter de voir le handicap uniquement via le filtre de la santé.
Oui et ça bouge d'ailleurs aussi au niveau politique. Jusqu'à maintenant le secrétariat d'Etat au handicap était rattaché au ministère de la Santé. Emmanuel Macron, qui a déclaré vouloir faire du handicap sa priorité pendant la campagne, a décidé aussitôt son élection de le rattacher au Premier ministre. C'est un acte symbolique très fort, qui montre que le handicap couvre tous les champs de la société. Ces médias spécialistes ont compris qu'il y avait là une source d'inspiration énorme. C'est vraiment un univers effervescent, inspirant !
Quels sont les thèmes qui font le plus d'audience ?
Selon handicap.fr, c'est en premier lieu tout ce qui concerne l'argent car il faut savoir qu'un grand nombre de personnes handicapées vivent en dessous du seuil de pauvreté et c'est devenu une question cruciale pour eux.
Mais ce qu'attendent les lecteurs, ce sont aussi les belles histoires du quotidien.
Oui, par exemple un restaurant nantais qui ne recrute que des serveurs trisomiques, une jeune femme trisomique qui travaille en crèche, une autre artiste peintre qui expose à Paris. Les lecteurs ont envie qu'on les fasse rêver et de découvrir que la réussite est possible et qu'il n'y a pas de petites victoires.
Dans tous les exemples que vous avez donnés, il est souvent question de trisomie 21.
Oui, vous avez raison. Disons que c'est un handicap qui attire la sympathie. Il y a encore du chemin pour que d'autres handicaps soient rendus « acceptables » dans l'esprit du grand public.
Vous dites donc qu'il faut arrêter de dire que le handicap n'est pas vendeur.
Bah oui, il suffit juste de savoir comment l'aborder. Et ça c'est le job des journalistes ! Mémona Hintermann-Afféjee, en charge du groupe de travail Cohésion sociale et de l'analyse des résultats, estime qu'il est du devoir du CSA de faire comprendre aux chaînes « qu'elles ne peuvent plus exclure une partie de la population. Si celle-ci ne s'y retrouve pas, elle se détourne alors des canaux traditionnels ». Selon elle, « il reste beaucoup à faire ». Question de cohésion sociale !
Vous voyez Marina, encore une fois cet ensemble que nous ferons évoluer le regard sur le handicap et pour cela nous avons besoin des médias ! Ensemble faisons en sorte que le handicap ne soit plus l'une des plus grandes discriminations.
Revoir la chronique du Mag de la santé (France 5) du 22 janvier 2018 dans le lien ci-dessous.