Par Jessica Lopez avec handicap.fr
L'actualité a jeté le trouble dans l'assemblée du colloque intitulé "Handicap et médias : comment devenir visibles ?" accueilli le 29 juin 2017 dans les locaux de France Télévisions. Diffusée pour la 1ère fois le 24 juin sur France 2, l'attraction de l'hôpital psychiatrique de Fort Boyard a en effet fait hurler deux associations de personnes avec un handicap psychique, présentes dans la salle (article en lien ci-dessous). Une vision anxiogène et stigmatisante, selon elles, dans une émission phare du service public ! Elles ont réclamé des comptes au Groupe, au Défenseur des droits et au Conseil supérieur de l'audiovisuel, tous présents lors de cette journée. Chacun a entendu les arguments avancés et promis d'agir…
1 % de visibilité dans les medias
Une façon d'illustrer un constat "alarmant", le manque de visibilité des personnes handicapées dans les medias, et lorsqu'elles y apparaissent, des représentations parfois caricaturales. Le handicap concerne en effet moins de 1% des personnes vues dans les programmes télévisés, a déclaré la ministre de la Culture Françoise Nyssen, en préambule ; 0.8 % exactement selon le dernier baromètre diversité du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel). Cette proportion très en-dessous de l'estimation des personnes atteintes de handicap, 12 millions au sens très large, a pourtant doublé par rapport 2015 grâce à la diffusion des Jeux paralympiques.
Ni miséreux ni super héros
Dans les personnages incarnés à l'écran, dans la variété des sujets, comme parmi les invités d'émissions, les personnes en situation de handicap sont donc quasi absentes. "Le handicap n'a qu'un tout petit écran", résume le sociologue Matthieu Grossetête, invité par le Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), organisateur du colloque. "Il est rarissime de voir des personnes handicapées invitées comme témoins ou expertes d'autre chose que ce sujet". Et l'image ne colle pas toujours la réalité. "Soit nous sommes des miséreux, soit nous sommes des héros", déplore Mathilde Fuchs de la Coordination handicap et autonomie. "On n'est jamais juste banal, juste des gens de la vie quotidienne, juste nous-mêmes".
Quelques semaines pour en parler
Entre 1995 et 2009, Matthieu Grossetête a décortiqué les journaux télévisés de TF1 et France 2, et les programmes (hors JT) des six chaînes hertziennes à la recherche du handicap. Sa conclusion : "C'est un thème qui a une actualité événementielle. Et plus l'audience de l'émission augmente, plus le handicap sera raréfie. Il peine par ailleurs à générer une actualité propre, contrairement à d'autres questions de société, comme la sécurité routière par exemple". Trop souvent, les efforts sont concentrés sur de courtes périodes. Les medias de mobilisent en masse à l'occasion de trois évènements majeurs : la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées en novembre et le Téléthon ou la journée mondiale des personnes handicapées en décembre. Et le reste du temps ? Les journalistes qui tentent d'imposer ce thème, souvent des femmes, ont du mal à être entendus par leur hiérarchie, poursuit le chercheur. "Une institutrice aveugle", "un préfet tétraplégique", "un chef d'entreprise amputé" : la vision du handicap est en outre souvent "individualisée", "dépolitisée", ce qui "masque les difficultés structurelles", note-t-il. L'audiovisuel en particulier, car il a besoin d'images, "confond le beau et le bon, ce qui le conduit à un profilage esthétique des personnes handicapées".
Handicap psychique = meurtrier
Il observe par ailleurs la sur-représentation du handicap moteur (près de 50 % alors qu'il ne concerne que 25 % des handicaps dans la "vraie vie"), les plus sévèrement invalides n'étant quasiment jamais montrés ni interviewés. Handicap mental, psychique et polyhandicap apparaissaient d'ailleurs "plus souvent sous un jour défavorable", selon ses recherches, avec 40% des reportages abordant le polyhandicap et le handicap mental liés à un fait divers, contre 19% en moyenne. "Cette tendance peut conduire à la disqualification sociale, voire à la criminalisation de certains troubles", met en garde M. Grossetête, prenant l'exemple de la schizophrénie, abordée "dans 18 sujets télévisés, dont 16 racontant le parcours d'un meurtrier". Pour Mathilde Fuchs, ce prisme médiatique "ne fait pas avancer dans la vie": "les personnes handicapées n'ont pas un rôle à jouer, à subir une pression sociale ou à réaliser des exploits sportifs", s'agace-t-elle, prônant "des bases nouvelles".
Le handisport à la une cet été
"Les personnes handicapées regardent la télévision en quête de représentativité", a souligné la secrétaire d'État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui déplorait, notamment, que la victoire du double français en tennis-fauteuil à Roland Garros se soit déroulé sur un cours annexe sans caméra. "Tout ne se fera pas du jour au lendemain mais il faut poursuivre les efforts. La tâche est encore très grande", a-t-elle ajouté, rappelant qu'une jeune trisomique, Mélanie, a présenté la météo à 5,3 millions de téléspectateurs en mars sur France 2 (article en lien ci-dessous). Fort du succès des paralympiques, France Télévisions diffusera "cet été les mondiaux d'athlétisme handisport" à Londres (article en lien ci-dessous), a annoncé Delphine Ernotte, la patronne du groupe. La championne Marie-Amélie Le Fur, qui témoignait lors de cette journée, sera consultante TV.