Handicap.fr : Votre agence, créée en 2013, s'appelle Tell Me The Truffe ; c'est insolent mais quel rapport avec le handicap ?
David Herz : Eh bien, justement, il n'y en a pas, et c'est ça l'idée. Nous sommes partis du constat que la communication sur le handicap était très consensuelle et conventionnelle et ne remplissait pas ses objectifs. En d'autres termes, ça ne parlait pas aux salariés. Notre moteur c'est de mettre les mêmes niveaux d'exigence et de stratégie sur la thématique du handicap que sur n'importe quel autre sujet
H.fr : Le handicap est une question un peu « périlleuse » en com'…
DH : Oui, et les entreprises ne savent pas bien par quel bout la prendre, en interne comme en externe. Elles en oublient souvent leur cible. Jacques Séguéla disait il y a quarante ans déjà : « En com', il n'y a qu'une seule règle : « Parlez-moi de moi, il n'y a que moi qui m'intéresse ! » ». Pourtant, la plupart des entreprises mitonnent des recettes qui n'intéressent personne, en utilisant des ingrédients (un jargon) que personne ne comprend. Alors, le plus souvent, l'objectif est raté.
H.fr : Quelle est, selon vous, la clé du succès ?
DH : Pour schématiser : « Si on se dit les choses et que moi, entreprise, je peux faire quelque chose pour toi et que, toi, travailleur handicapé, tu es suffisamment en confiance pour exprimer ton besoin, alors on va avancer ! ». C'est de là que vient notre nom. Sinon, on peut faire toutes les lois qu'on veut, ça ne marchera jamais… Notre approche est toujours positive. Nous cherchons à montrer l'univers des possibles « malgré » le handicap.
H.fr : Donc, plutôt que d'écrire des lois, vous avez créé un jeu, « T'handi quoi ? », destiné aux salariés…
DH : Oui, afin de balayer les tabous sur le handicap, en impliquant le plus grand nombre de collaborateurs. L'approche ludique de ce jeu permet de libérer la parole, en intégrant, pour la première fois dans la vie de l'entreprise, le sujet de l'accueil des clients handicapés. En allant au devant des collaborateurs, de leurs aprioris et de leurs questions concrètes, il casse de manière irréversible la mise à distance du sujet.
H.fr : Un outil si novateur qu'il a reçu, le 12 févier 2015, le prix Top com, référence dans le milieu de la communisation…
DH : C'est intéressant car c'est la première fois qu'un outil de sensibilisation sur la thématique du handicap était primé par les professionnels du secteur. C'est de bon augure pour un sujet souvent négligé, une opportunité pour le désenclaver.
H.fr : Quelles sont les questions que vous entendez le plus fréquemment dans les entreprises ?
DH : Nous avons observé deux situations récurrentes. Deux et demi en réalité. La première, c'est que de nombreuses entreprises nous disent que si tous leurs salariés porteurs d'un handicap se déclaraient, elles seraient bien au-delà du quota légal des 6 %. Mais certains, par exemple avec du diabète ou une hernie discale, n'ont pas idée que leur problème entre dans le champ du handicap, et qu'ils pourraient donc se faire accompagner.
H.fr : Le second point, c'est « A quoi sert la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé », la fameuse RQTH ?
DH : Oui en effet. Il est important d'informer le salarié sur les avantages et compensations qu'il peut obtenir en se déclarant, avec l'objectif de faciliter son quotidien. Mais, en réalité, cette démarche est vertueuse pour toutes les parties : pour le salarié, bien sûr, mais aussi pour ses collègues qui peuvent eux aussi comprendre la situation et se faire aider et enfin pour l'entreprise qui est toujours plus performante lorsque tous ses employés le sont. Le bénéfice est global.
H.fr : Et la demi-part que vous évoquiez, c'est quoi ?
DH : Lorsqu'un salarié avec une RQTH présente son CV à un manager non expérimenté, bien souvent ce dernier va chercher des excuses. Il n'est pas forcément hostile mais tout simplement mal à l'aise car il n'a jamais été confronté au handicap. Le jeu Thandi'quoi ? apporte des clés et astuces dans ce type de situation.
H.fr : Mais ça marche vraiment ? Les salariés ont envie de jouer à ce petit jeu ?
DH : Il a déjà été distribué à 10 000 exemplaires. Dans le Groupe Eram, par exemple, 2 mois après sa distribution, 10 salariés ont déjà sollicité la Mission handicap. Il a créé un vrai climat de confiance.
H.fr : C'est ça la clé du succès, s'inviter auprès des personnes qui ne sont a priori pas concernées ?
DH : Oui car lorsque vous organisez une conférence au sein d'une entreprise, en général ceux qui y assistent sont déjà concernés. Mais comment toucher les « indécis » ? Ils ne sont pas forcément malveillants mais ne prennent pas le temps… Il était donc essentiel d'aller au-devant de ces salariés. Le jeu est donc parfois envoyé directement à leur domicile ; c'est intéressant car toute la famille, et notamment les enfants, peuvent alors s'en saisir. Il crée un échange dans la sphère privée. Son format atypique crée la surprise, notamment à travers des dessins de presse.
H.fr : 17 illustrations, c'était important pour rendre le produit attrayant ?
DH : La question de l'impact du dessin est plus que jamais d'actualité. Nous sommes persuadés que c'est un media de sensibilisation très efficace. Par exemple, sur l'un d'eux, une femme demande à son manager « Je vais avoir besoin de deux jours par semaine pour mes soins ». Il répond : « Prenez vos samedis et dimanches ». Ou encore : « Ca fait quoi d'avoir un sourd dans son bureau ? » ; « Ben, déjà, j'écoute la musique que je veux ! ».
H.fr : Toutes ces situations sont de la pure fiction ?
DH : Non, ce sont des anecdotes que nous avons glanées. Bien mieux qu'avec des mots, le dessin permet de taquiner gentiment certaines maladresses. L'avantage d'un tel support, c'est qu'il est adaptable à n'importe quelle entreprise, quel que soit son niveau de maturité sur la question du handicap.
H.fr : Ce jeu est l'une des pierres de l'édifice. Mais il ne se suffit pas à lui-même ?
DH : Non, en effet… La sensibilisation se fait sur le long terme. Thandi'quoi ? y participe. C'est un outil de sensibilisation autour duquel nous pouvons concevoir pour chaque client un dispositif complet. Par exemple pour le Groupe Eram, avec lequel nous avons obtenu le prix Top Com, ce sont des conférences, des expos, des débats, des mises en situation, la diffusion d'un film sur l'emploi des personnes handicapées conçu par le réseau d'entreprises Hangagés. Avec l'association Coverdressing, nous avons également diffusé un film qui relate une expérience d'achat d'une personne handicapée dans un magasin car il ne faut pas oublier non plus la clientèle en situation de handicap. Et se souvenir qu'elle concerne entre 10 et 15 % de Français. Les entreprises doivent prendre conscience que c'est aussi du business potentiel pour elles.