Handicap.fr : Pourquoi avoir choisi le mois de novembre pour remettre ce rapport 2016 sur les droits de l'enfant au sein de l'école ?
Jacques Toubon : Parce que le 20 novembre est la Journée internationale des droits des enfants. Il y a 26 ans, la France a ratifié, à la suite de son adoption par les Nations Unies, la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Chaque année, à cette date, le Défenseur des droits (DDD) publie un rapport thématique. En 2015, nous avions retenu le sujet des enfants handicapés, pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, ces « invisibles ». En 2016, notre choix s'est porté sur le « Droit fondamental à l'éducation : une école pour tous, un droit pour chacun » (rapport en lien ci-dessous). Les élèves handicapés sont à nouveau concernés.
H.fr : A qui sont destinés les rapports du DDD ?
JT : La loi organique créant le Défenseur des droits indique que l'institution que je représente doit remettre chaque année deux rapports au président de la République et à ceux de l'Assemblée nationale et du Sénat : celui consacré aux droits de l'enfant et le rapport annuel d'activité. Accompagné de mon adjointe, la Défenseure des enfants, j'ai remis, lundi 21 novembre, celui sur le droit à l'éducation des enfants à François Hollande. Le second rapport est rendu public au début de chaque année. Par ailleurs, mon institution publie d'autres rapports et études concernant notre champ de compétence. Toutes nos publications sont adressées aux ministres concernés par le thème retenu. Mais elles sont aussi destinées aux professionnels, selon leur domaine, ainsi qu'au grand public. Nous souhaitons, par ces travaux, influer sur le débat public et faire progresser l'accès aux droits, notamment par des réformes législatives et règlementaires.
H.fr : Quel est la conclusion globale de ce rapport 2016 sur le droit des enfants ?
JT : Qu'il existe encore de nombreux obstacles dans l'accès à l'école pour beaucoup d'enfants, et notamment les plus vulnérables : ceux qui vivent dans des squats ou des campements illicites, les enfants pauvres, les itinérants (gens du voyage), les allophones (ayant une langue maternelle autre que le français), les mineurs migrants non accompagnés, les enfants en situation de handicap, ceux qui sont hospitalisés et aussi les enfants « surdoués ». Tous subissent des ruptures scolaires manifestes. On constate une forme de déterminisme que l'école n'arrive pas à corriger. Depuis 2002, le poids de l'origine sociale sur les performances des élèves a augmenté de 33%, et l'école française est aujourd'hui celle où l'origine sociale des enfants influe le plus sur le niveau scolaire. En 2015, près de 23% des saisines du Défenseur des droits au titre de l'enfance concernent l'éducation. Entre 2014 et 2015, on a observé une hausse de 5%. C'est donc un sujet que nous traitons de plus en plus.
H.fr : Comment jugez-vous, plus particulièrement, la situation des enfants handicapés ?
JT : Préoccupante ! En 2016, l'accès à l'école pour ces enfants comporte encore de réels obstacles : en matière de transport, d'accompagnement humain, de matériel, d'accessibilité. Même si nous constatons depuis dix ans un nombre de plus en plus élevé d'enfants handicapés inclus dans le milieu scolaire ordinaire, il reste encore une marge de progression.
H.fr : La France est donc manifestement en retard en termes d'inclusion des élèves handicapés ?
JT : Jusque dans les années 90, la France a développé un modèle d'enseignement spécialisé pour les enfants handicapés. La loi du 11 février 2005 a permis de dissiper ce paradigme et, aujourd'hui, nous sommes dans la même culture que d'autres pays européens qui ont posé ce principe d'inclusion depuis longtemps. Il reste encore beaucoup de difficultés à surmonter et un long chemin à parcourir pour que les droits de ces enfants soient effectifs et qu'ils aient accès à l'école selon une égalité réelle avec les autres enfants.
H.fr : Qu'en est-il des activités périscolaires ?
JT : Nous constatons combien cette inclusion est difficile sur ces temps « non obligatoires » à cause de la querelle juridique entre l'Éducation nationale, les MDPH et les communes ; chacun se renvoie la responsabilité. De nombreux enfants ne peuvent y participer faute d'AVS (auxiliaires de vie scolaire) disponibles pour les accompagner. Lors de la dernière Conférence nationale du handicap (CNH), en mai 2016, le président de la République a annoncé un nouveau statut pour les accompagnants de l'élève en situation de handicap et la titularisation de 40 000 d'entre eux. Nous allons suivre la mise en œuvre de cette décision qui constituait un progrès évident.
H.fr : Le droit à l'école, c'est aussi le droit de pouvoir s'y rendre… Etes-vous alerté sur les problèmes de transport qui pénalisent les enfants handicapés ?
JT : Oui, bien-sûr. A compter du 1er janvier 2017, la responsabilité du transport scolaire est transféré aux régions. Nous attirons donc leur attention sur ce service qui pourrait s'avérer très problématique pour les enfants handicapés.
H.fr : Avez-vous également pris en compte la situation des enfants hospitalisés ?
JT : Oui car l'école ne doit pas s'arrêter aux portes de l'hôpital. De gros efforts ont été réalisés depuis les années 70 mais la prise en charge dans ce domaine reste très hétérogène. Même s'il existe de belles initiatives comme les Maisons des adolescents et la Maison de Solenn, ce type d'unités avec un personnel pluridisciplinaire est encore trop rare. Nous recommandons de pouvoir faire appel davantage au CNED (Centre national d'enseignement à distance), avec un accès gratuit pour les enfants malades.
H.fr : Editer des rapports, c'est une chose, mais à quoi servent-ils ?
JT : Notre action vise à apporter des réponses concrètes aux pouvoirs publics afin qu'ils s'en imprègnent, mais aussi à proposer aux professionnels la généralisation de bonnes pratiques. L'objectif est de rétablir le droit pour les personnes qui ont des difficultés à y accéder, mais notre travail, lorsque les réponses de droit sont insuffisantes, est aussi de formuler des propositions de réforme des textes législatifs et réglementaires. Nos avis, présentés devant le Parlement, permettent de faire entendre la voix des plus vulnérables lorsque la loi ne peut pas répondre à leur demande. La force du DDD, c'est d'obtenir des résultats effectifs, afin de réduire la distance entre les droits proclamés et les droits tels qu'ils sont appliqués. Et celui à l'éducation est l'un des points sur lequel nous nous montrons extrêmement vigilants. Dans ce rapport 2016, nous formulons 30 recommandations, dont certaines concernent plus spécifiquement les enfants handicapés.
H.fr : Un exemple de réponse concrète suite à vos actions ?
JT : L'allocation de rentrée scolaire était réservée aux élèves de plus de 6 ans entrant en primaire. En 2015, nous nous sommes battus pour qu'elle soit versée aux enfants handicapés de plus de 6 ans maintenus en maternelle.
H.fr : D'autres actions qui ont impacté les politiques publiques ?
JT : Nous recevions, par exemple, beaucoup de saisines sur les difficultés liées aux voyages scolaires, de nombreux élèves handicapés en étant privés. Le Défenseur des droits a donc travaillé sur les conditions d'anticipation en termes d'aide humaine, et sa collaboration avec le ministère de l'Éducation nationale a permis l'adoption d'une nouvelle règle dans la loi.
H.fr : Les parents sont-ils suffisamment informés sur les démarches à suivre pour faire valoir leurs droits ?
JT : Pas toujours et c'est pourquoi nous avons voulu conclure ce rapport 2016 sur l'accès au droit. Il est manifeste que la culture du droit est faible car elle n'est pas enseignée, sauf à une minorité qui fait des études dans ce domaine. Nous avons donc imaginé que l'un des moyens de faire avancer la solidarité c'est de développer une éducation globale au droit des enfants et adolescents. Au début de l'année 2017, le site du DDD proposera des ressources en ce sens à travers dix grands thèmes. Par ailleurs, des magistrats, des avocats, des associations, qui sont nos partenaires, vont intervenir dans les collèges et lycées pour porter ces questions. C'est aussi l'objectif du programme des Jeunes ambassadeurs des droits auprès des enfants (JADE) que gère mon institution ; depuis dix ans, ces « JADE », volontaires du Service civique affectés auprès du DDD, se rendent, entres autres, dans les établissements scolaires pour sensibiliser les élèves aux droits de l'enfant et à la lutte contre les discriminations.
H.fr : Les enfants ont-ils, eux aussi, la possibilité d'alerter ?
JT : Ils en ont le pouvoir, tel que prévu par la Convention internationale des droits de l'enfant de l'ONU. Mais c'est rarement le cas dans la réalité, et c'est là un regret. D'où l'importance de notre action sur l'éducation au droit.
H.fr : En janvier 2016, le comité des droits de l'enfant de l'ONU épingle la France sur la prise en charge des enfants handicapés. Le DDD en tient-il compte ?
JT : Bien-sûr puisque le DDD a pour rôle d'assurer le suivi de la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l'enfant ; notre travail est d'alerter les ministères, régions, collectivités territoriales concernés par cette question. Nous portons auprès de ce comité les avancées et insuffisances des politiques publiques de la France et avons en retour des recommandations qui sont autant de leviers pour agir. Le rapport 2016 est en ligne avec les observations du Comité et il est, en quelque sorte, une façon d'y répondre.
H.fr : On vous entend vraiment ?
JT : Ça fonctionne assez bien pour ce qui est de la Convention internationale des droits de l'enfant et moins bien pour celle relative aux droits des personnes handicapées. A ce titre, je vous informe que le DDD organise le 13 décembre 2016, à l'occasion des dix ans de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, une journée d'étude à l'Unesco, à Paris 7e (article et inscription en lien ci-dessous).