Le 9 juillet 2018, le Président de la République convoquait le Parlement au Congrès à Versailles. L'occasion de rendre compte des actions menées lors cette première année du quinquennat mais aussi de rappeler le cap, ainsi que les prochaines réformes pour continuer la transformation du pays.
Les personnes handicapées mentionnées
Dans un discours fleuve d'une vingtaine de pages, se nichaient plus spécifiquement trois petites mentions en faveur de « nos concitoyens vivant en situation de handicap ». Le chef de l'Etat a d'abord rappelé la promesse d'augmenter l'allocation adulte handicapé « de 100 euros » -ce n'est en réalité que 90- ainsi que « la politique commencée de réinsertion dans l'école, dans le travail » qui sera poursuivie « avec des choix budgétaires clairs et un accompagnement renforcé (…) dans le cadre d'une politique de retour vers la citoyenneté pleine et entière que nous assumerons ». Emmanuel Macron a également promis un retour au droit de vote inaliénable pour les personnes qui sont sous tutelle. En France, plus de 385 000 majeurs seraient concernés par cette disposition, dont entre un quart et un tiers encore privés de leur droit de vote. La secrétaire d'Etat en charge des personnes handicapées, Sophie Cluzel, s'était déjà exprimée à ce sujet en février 2018 (article en lien ci-dessous), réclamant un droit de vote sans condition.
Sur décision du juge
Avant 2009, une décision du juge était obligatoire pour qu'une personne handicapée sous tutelle -dont la grande majorité sont handicapées mentales ou psychiques- puisse se rendre aux urnes mais la modification de l'article 5 du Code électoral a alors permis d'inverser la logique en consacrant le droit de vote, sauf avis contraire. Cela demeure néanmoins un « permis de voter » dont le juge est le seul évaluateur. Cet article contrevient ainsi à la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) des Nations unies dont le 29e article affirme l'inaliénabilité du droit de vote pour toutes les personnes handicapées. De son côté, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) avait plaidé pour l'abrogation de l'article L5, dénonçant une « rupture d'égalité entre les citoyens ». « On ne peut pas d'un côté affirmer que les personnes handicapées sont des citoyens comme les autres et, de l'autre, leur retirer l'attribut le plus emblématique de la citoyenneté », faisait alors valoir la CNCDH.
Des suffrages dévoyés ?
La secrétaire d'État voulait donc aller plus loin en supprimant cette possibilité pour le juge : « J'ai consulté mes collègues, le ministre de l'Intérieur, la ministre de la Justice, et ça leur paraît élémentaire, ça fait des années qu'on aurait dû le faire », avait-t-elle ajouté, assurant avoir le soutien du gouvernement. Pourtant, en janvier 2017, dans les colonnes de La Croix, l'Association nationale des juges d'instance (ANJI) estimait qu'un « individu présentant un handicap mental lourd risque de voir son suffrage dévoyé ». Depuis, son point de vue a changé (lire questions ci-dessous). La secrétaire d'Etat rétorquait : « L'influençabilité, c'est ce qu'on a opposé pour que les droits des femmes ne soient réels qu'en 1944 ». Selon elle, « la société inclusive est celle qui reconnaît l'autre, quelles que soient ses différences, comme un être humain, aux mêmes droits universels ». La chose est désormais entendue. Dans l'entourage de Sophie Cluzel, on qualifie cette décision gouvernementale de « mesure forte sur la place de ces personnes en France ».
Réactions positives mais...
Reste à savoir quand elle sera mise en œuvre. Jacques Toubon, Défenseur des droits, qui avait recommandé dans son rapport sur « La protection juridique des majeurs vulnérables » (septembre 2016), de prendre les mesures appropriées, se « félicite » de cette décision et « appelle de ses vœux une réforme rapide du code électoral ». De son côté, Matthieu Annereau, président de l'APHPP (Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées), assure qu'il ne « peut s'agir que d'une première étape, le droit de vote ne pouvant s'exercer que si l'accès au vote est garanti pour tous ». Selon lui, la France doit engager un travail important sur l'accessibilité des bureaux de vote, la sensibilisation des personnels et assesseurs de ces bureaux, et sur l'accessibilité même des campagnes électorales. Ouvrant le débat, cet élu non-voyant encourage également à « aborder plus largement la question de la participation des personnes handicapées en politique ».
Handicap.fr : C'était une demande de longue date des associations, de la CNCDH et du CNCPH (Conseil national du handicap). Elles ont enfin été entendues ?
Sophie Cluzel : Oui, cette annonce marque la reconnaissance de la dignité de toutes les personnes handicapées et répond à une demande ancienne. Elle est vraiment le signe du regard nouveau, levier d'émancipation, que nous voulons collectivement porter sur les personnes. Rétablir les personnes dans leur pleine citoyenneté, c'est reconnaître chacun à sa place, au milieu de tous. Voilà pourquoi j'en avais fait un combat dès mon arrivée au gouvernement, fort du soutien des associations et des personnalités.
H.fr : Que répondre à ceux qui disent que les personnes avec un handicap mental peuvent être sous influence ?
SC : Que c'est le même argument qui a été opposé, pendant de trop nombreuses années, à la reconnaissance du droit de vote pour les femmes ! Le processus électoral est par définition un processus d'influence. Mon enjeu est de m'assurer que chaque personne handicapée puisse demain s'emparer de ce nouveau droit comme les Françaises se sont pleinement emparées de ce droit depuis 1944. 350 000 personnes concernées.
H.fr : Cela peut-il permettre une meilleure prise en compte des personnes handicapées de la part des candidats ? Un électorat à ne plus négliger...
SC : Evidemment. A partir du moment où ce droit de vote sera pleinement reconnu, les candidats devront adapter leurs discours mais aussi leurs programmes en FALC (facile à lire et à comprendre) afin d'être intelligibles et compréhensibles pour le plus grand nombre.
H.fr : Y a t il des opposants à cette idée ? Par exemple au sein de la magistrature ?
SC : Il ne faut pas se le cacher , il y a des craintes anciennes sur cette question, et le risque que la reconnaissance de ce droit ferait porter sur la sincérité des votes. Je tiens à souligner que les magistrats sont de réels alliés sur ce sujet. Ainsi, l'Association nationale des juges d'instance s'est exprimée récemment en faveur du maintien systématique du droit de vote à toutes les personnes placées sous mesure de protection. Je suis heureuse de constater que les travaux effectués dans le cadre du groupe de travail interministériel et interprofessionnel dont j'ai confié la présidence à Anne Caron Déglise, conjointement avec Nicole Bellobet et Agnès Buzyn, ont permis de faire avancer l'ensemble des parties prenantes. Je crois qu'il y a désormais un réel consensus sur la mise en place d'une mesure unique de protection judiciaire beaucoup plus respectueuse de l'autonomie des personnes et du respect de leur volonté. Le rapport de ce groupe doit nous être remis prochainement : il doit permettre d'avancer très rapidement dans la mise en œuvre de la décision historique annoncée par le Président de la République.