Alca, le migrant vénézuélien cul-de-jatte roi de la glisse

A 13 ans, il a pensé à se suicider. Aujourd'hui, après avoir fui le Venezuela en déroute, Alca le cul-de-jatte déborde d'énergie : il rappe dans les bus pour gagner sa vie, surfe et vient d'être papa.

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Par Diego Legrand

Le tronc posé sur son skate, il se propulse à l'aide de ses longs bras sur un chemin de terre à Barranquilla, en Colombie. Avec sa femme et leur bébé, Alfonso Mendoza, 25 ans, habite une cabane en bois et en tôle collée à un gallodrome, où ont lieu les combats de coqs. Le dimanche, la frêle maisonnette vibre à cause de la ferveur des parieurs. Tatouages, bagues et lunettes à grosse monture dernier cri, Alca, contraction des deux premières lettres de son prénom et du mot "camino", chemin en espagnol, respire la bonne humeur, malgré une agénésie (malformation congénitale) et des conditions de vie précaires. "Dieu ne m'a pas donné de jambes, mais il m'a donné du talent à la place", confie à l'AFP celui qui a troqué le fauteuil roulant pour le skate.

Du rap pour survivre

A l'arrêt de bus, il grimpe à la force des bras et s'installe à l'avant. Le buste sur une barre horizontale, il fait face aux passagers. De loin, on dirait qu'il est en lévitation. Micro collé à la bouche et petit haut-parleur en bandoulière, il se met à rapper : "Si je rentre au Venezuela/Et je dois revenir/Je ne le penserai pas deux fois/ Pour revenir dans cette ville". Ses paroles sont un hommage à Barranquilla, port important de la côte caraïbe, où ce Vénézuélien est arrivé il y a neuf mois. Il a décidé de quitter son pays en crise quand il a appris qu'il allait être papa. Quelque 1,9 million de personnes sont partis du Venezuela depuis 2015, selon l'ONU. "Je n'ai pas honte de chanter dans un bus, j'aurais beaucoup plus honte de rentrer chez moi et que mon épouse me dise que ma fille n'a pas de couches, ni de vêtements. Je pense que ma vie a changé en terme de responsabilités", confie le jeune homme qui donne aussi des conférences de motivation.

Un million de migrants

La Colombie, qui partage 2 200 kilomètres de frontière avec le Venezuela, a accueilli ces dernières années plus d'un million de Vénézuéliens, dont 820 000 ont régularisé leur situation (article en lien ci-dessous). "Je suis venu ici illégalement, par un raccourci (frontalier), avec ma femme. Ça a été difficile à cause de la guérilla (colombienne) et de la garde nationale vénézuélienne", raconte-t-il, cheveux frisés plaqués en arrière. Les bons jours, Alca peut gagner jusqu'à 30 000 pesos colombiens, environ 10 dollars, en chantant à bord des bus. Au Venezuela, où l'inflation galopante devrait atteindre 1 000 000% à la fin 2018, le salaire mensuel équivaut à 30 dollars. "Malgré son handicap, il est beaucoup plus complet que bien des pères. Il ne nous manque rien, il est toujours attentif et fait face", confie Mileidy Peña, son épouse.

Sauvé par la musique

Quand il ne roule pas sur sa planche ou dans les bus, le jeune homme glisse sur les rampes d'un skatepark. Descentes, virages et figures de type flip, qu'il réalise en faisant tourner le skate sur son axe avant de retomber les deux mains sur la planche, ne lui font pas peur. Alca s'est aussi mis au surf il y a peu, profitant de la plage à proximité. Allongé sur sa planche, il rame avec ses bras, puis se redresse dès qu'une vague commence à le porter. A présent, "je vois la vague comme une barrière qui se brise grâce à la planche", explique Alca, dont les premières années n'ont pas été faciles. Abandonné par ses parents à la naissance, il est élevé par sa grand-mère qui décède alors qu'il n'a que neuf ans. A l'école, la vie en fauteuil roulant n'est pas rose non plus. "Les (autres) enfants me mettaient dans les poubelles ou m'enfermaient dans les toilettes". A 13 ans, en dépression, il pense à mettre fin à ses jours. Jusqu'à ce que la musique "lui sauve la vie" et qu'un ami lui apprennent à circuler en planche à roulettes.

© Capture d'écran YouTube

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