Trois associations (APF, Fnath et Adep*) viennent de déposer un recours en Conseil d'État contre des textes réglementaires introduisant la possibilité de déroger, dans les ERP (établissements recevant du public), aux normes d'accessibilité grâce à des solutions alternatives dites «solutions d'effet équivalent » et ce, même dans le neuf ! Ainsi, un décret du 28 mars 2017 et un arrêté du 20 avril 2017 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public lors de leur construction et des installations ouvertes au public lors de leur aménagement prévoient la possibilité « pour le maître d'ouvrage de satisfaire à ces obligations (d'accessibilité) par des solutions d'effet équivalent aux dispositions techniques de l'arrêté dès lors que ces solutions répondent aux objectifs poursuivis.»
Un décret polémique
Dérogations déguisées en solutions alternatives ? « Avec une solution d'effet équivalent, l'accessibilité est bien garantie mais de manière différente de celle explicitement décrite par la réglementation », rassure le ministère du Développement durable. Les termes sont pour le moins nébuleux ! D'autant que l'arrêté ne dresse pas la liste de ces « effets » possibles ; aucune méthodologie. Des solutions restent à imaginer mais avec quelles garanties ? Pour l'Anpihm (Association pour l'intégration des handicapés moteurs), « toutes les interprétations sont envisageables. Alors pourquoi pas des cours par correspondance pour pallier l'inaccessibilité d'un établissement scolaire ou la mise à disposition d'un DVD en l'absence d'accessibilité d'une salle de cinéma ? Ou encore l'installation de rampes non conformes justifiant d'une assistance humaine... »
Et pour le neuf aussi ?
Jusque-là, seuls les ERP existants pouvaient se voir accorder le droit de ne pas respecter l'obligation de mise aux normes, pour des raisons d'impossibilité technique, de protection du patrimoine ou de coût beaucoup trop élevé. Pour les trois associations engagées, « c'est une nouvelle attaque à la mise en accessibilité de la cité et une ouverture sans garde-fou à de nouvelles formes de dérogations, en plus de celles existantes ». « Une situation inacceptable », selon elles, qui les a conduites à mener cette action auprès du Conseil d'État. Jusqu'à maintenant, ce dernier avait censuré toutes les tentatives de dérogations dans le neuf.
Une instruction casse-tête
Pour en ajouter, si besoin était, à la permissivité de cette disposition, son mode d'instruction est un modèle d'insécurité juridique. Imaginons par exemple un dossier reçu par le préfet un 1er février. Sans réponse de ce dernier, un avis favorable par défaut prendra effet trois mois après, c'est-à-dire le 1er mai, avant même d'avoir connaissance d'un éventuel avis contraire de la CCDSA (Commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité). En effet, si cette dernière dispose de deux mois pour se prononcer, aucun délai n'est fixé au préfet pour la saisir. Dès lors, si dans l'exemple précité, la CCDSA est saisie le 15 mars, son avis, éventuellement défavorable, tombera le 15 mai, quinze jours après l'avis tacitement favorable du préfet ! Il sera alors trop tard pour faire marche-arrière.
Avis défavorable du CNCPH
Le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), refusant une « accessibilité a minima », avait rendu, dès février 2017, un avis défavorable (en lien ci-dessous) sur le projet de cet arrêté polémique au motif que « aucun contrôle ou suivi a posteriori n'est prévu » et qu'il n'envisageait aucune « sanction lorsque le résultat n'est pas atteint par la solution proposée » ; il doit pourtant entrer en vigueur le 1er juillet 2017 !
* APF (Association de paralysés de France), Adep (Association de défense et d'entraide des personnes handicapées) et Fnath (Fédération des accidentés du travail).