*Guy Tisserant, président du cabinet TH Conseil et ancien champion paralympique
Des dépenses supérieures aux recettes et une évolution de mal en pis : voilà résumée en substance cette réalité soulevée par l'article « Fiphfp et Agefiph : chronique d'une mort annoncée » (en lien ci-dessous), publié sur Handicap.fr le 15 novembre 2016. L'agonie financière des deux fonds dédiés à l'emploi des personnes handicapées est illustrée par ces récents propos de Ségolène Neuville, secrétaire d'État en charge des personnes handicapées : « On arrive au bout du bout et […] il va falloir réfléchir à un nouveau mode de financement ».
Les fonds sont morts, vivent les fonds !
Pour nous, c'est une bonne nouvelle. Enfin ! Ce secret de polichinelle d'une mort programmée des fonds, nous nous évertuions à l'éventer depuis 2009, et nous avions encore sonné le tocsin dans une tribune publiée en 2015 « Proposition pour réformer un système en péril » (en lien ci-dessous). Nous ne pouvons donc que nous réjouir de constater que notre ministre a pris pleinement la mesure de cette impasse financière et s'en fasse publiquement l'écho. Dont acte. Et puisqu'il s'agit désormais de « réfléchir à un nouveau mode de financement » - réflexion que nous avions déjà entamée depuis plusieurs années -, revenons sur quelques pistes simples et efficaces pour sauver les soldats Agefiph et Fiphfp.
De la contrainte à l'incitation : un système de bonus-malus
Nous suggérons tout d'abord de modifier en profondeur le système de financement des fonds pour s'inspirer des modalités de financement de la formation continue. Autrement dit, toute entreprise contribuerait via une cotisation à hauteur de sa masse salariale et non plus de son taux d'emploi. Un système de bonus-malus, en fonction des actions entreprises en matière de recrutement, maintien dans l'emploi, sous-traitance mais aussi sensibilisation et formation, permettrait de renforcer l'incitation des employeurs en matière d'emploi des personnes handicapées. Avantage : les structures ayant un engagement réel dans ce domaine seraient valorisées, tout en assurant des ressources pérennes aux fonds.
Sortir de la logique quantitative
Ainsi, plutôt que de se pencher uniquement sur les « stocks » - à savoir le totémique taux d'emploi de 6% de personnes handicapées, qui peut d'ailleurs être le même depuis des années et n'être suivi d'aucune action en interne (aménagements de poste, recrutement, sensibilisation...), il s'agit d'entrer davantage dans une logique de « flux ». Cela permettrait de s'affranchir de l'approche quantitative que sous-tend la loi de 2005 dans sa version actuelle : une logique de quota de 6% qui positionne psychologiquement et symboliquement le sujet au plan collectif comme une contrainte plutôt qu'une opportunité. Celle-ci conduit d'ailleurs parfois certains employeurs à se livrer à une véritable chasse à la déclaration, allant parfois jusqu'à faire pression sur les salariés concernés pour qu'ils déclarent leur handicap, ou encore à favoriser les entreprises ayant un taux élevé car elles fabriquent du handicap pour cause de conditions de travail difficiles (génératrices d'inaptitude et de handicap).
Prendre en compte le stock ET le flux
Pour ne pas, cependant, pénaliser les entreprises ayant à leur actif un taux d'emploi élevé ou une véritable politique handicap, mais ne recrutant par exemple plus suite à des difficultés économiques, le mode de calcul pourrait se baser sur un double équilibre prenant en compte à la fois le stock ET le flux ou, en d'autres termes, le taux d'emploi (efforts passés) ET la dynamique actuelle (efforts récents). Plutôt que de vouloir faire mieux avec moins, il s'agit donc de faire mieux autrement. Une problématique qui semble d'ailleurs avoir été perçue par l'Agefiph, qui a récemment, par la voix de sa présidente Anne Baltazar, reconnu « s'être enfermée dans la gestion, et avoir oublié de penser stratégie ».
Réformer l'assiette pour une contribution plus large et plus juste
Et si l'on peut sanctuariser des ressources, alors les fonds seront réellement hors de danger. À cet effet, et pour que le sujet du handicap repose sur une réelle solidarité nationale, une autre évolution permise par cette nouvelle approche consisterait à inclure dans son financement l'ensemble des employeurs, privés et publics, quelle que soit leur taille, avec un système identique pour tous. Cela permettrait de palier deux effets pervers du système actuel. Le premier est en effet qu'une partie des entreprises de moins de 20 salariés bénéficie du système sans pour autant y participer financièrement. Le second réside dans les disparités d'approche et de financements de la part de l'Agefiph d'une part et du Fiphfp de l'autre. Par exemple, il arrive qu'une même mesure de compensation soit financée à des degrés très variables selon qu'il s'agisse du public ou du privé.
2018 : une nouvelle « loi de 2005 » ?
« À l'horizon 2018, il faudra vraisemblablement une nouvelle loi pour revoir le taux d'emploi de 6% ou l'assiette de calcul de la contribution des entreprises ou le seuil d'assujettissement ou d'autres modalités encore », soulignait il y a peu Anne Baltazar (Les Échos). André Montané, son homologue du Fiphfp, estime quant à lui la survie de ce fonds « à 3 ou 4 ans maximum » (Handicap.fr). Le constat est donc là. Les solutions aussi. Réformons l'esprit de la loi de 2005 et passons d'une logique quantitative contraignante à une vraie approche incitative. En résumé, pour cela, nous pouvons donc :
- Nous inspirer du mécanisme de financement de la formation continue qui a fait ses preuves, en s'appuyant sur un système de bonus-malus.
- Réformer l'assiette pour une contribution mieux répartie.
Rappelons que la loi de 2005 a tout de même permis une amélioration incontestable de la situation de l'emploi des personnes handicapées au cours des 20 dernières années. Elle en mérite d'autant plus ces mesures de compensation !
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