Troubles psychiques : encourager le retour à l'emploi !

Comment encourager l'insertion ou le retour au travail en cas de troubles psychiques ? Avec plusieurs chercheurs, le professeur M. Corbière a mis en place des outils de mesure pour évaluer le retour et la réintégration au travail en milieu ordinaire.

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Professeur en psychologie du travail à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), chercheur à l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Marc Corbière a développé une expertise pour mesurer la qualité du retour et de la réintégration au travail en cas de troubles psychiques courants (dépression, troubles anxieux) ou plus graves (schizophrénie, trouble bipolaire…). Il s'apprête à présenter le contexte international de cette thématique et les résultats de ses recherches le 13 octobre 2016 aux Assises de l'association Messidor à Lyon (Palais des Congrès de 9h15 à 16h30, lien ci-dessous) qui ont pour thème « Handicap psychique et travail, une voie de rétablissement ».

Handicap.fr : Vous avez conçu des outils de mesure et de formation dans le domaine de l'emploi accompagné au Canada. À qui sont-ils destinés ?
Marc Corbière : Ils s'adressent à deux types de population : les personnes qui ont des troubles psychiques courants, qui connaissent déjà l'emploi, et celles qui sont aux prises avec des troubles mentaux graves et qui, à l'inverse, sont éloignés du monde du travail. Dans le premier cas, il existe des programmes de retour au travail et dans le second, des programmes de soutien à l'emploi. Il existe également des interventions en support, notamment des interventions de groupe basées sur le principe de thérapie cognitive-comportementale (TCC) avec l'objectif d'aider la personne dans son maintien à l'emploi. Avec ma collègue, Pr Tania Lecomte (de l'UQAM également), nous avons adapté cette intervention de groupe aux personnes qui ont fait l'expérience d'une dépression et qui sont en processus de reprise professionnelle. Elle est en cours d'évaluation.

H.fr : Concrètement, comment s'organisent ces interventions de groupe ?
MC : Ce sont des temps de discussion et de travail sur soi, mis en place auprès d'un groupe de cinq à sept personnes qui ont vécu une dépression. Elles sont accompagnées par deux intervenants formés à la TCC de groupe. Les sessions ont lieu sur une période de deux mois, à raison de séances hebdomadaires uniques d'une heure et demi, en vue de prévenir d'éventuelles rechutes. On sait que les personnes qui ont vécu une dépression ont deux fois plus de risque d'en développer une seconde. Ce n'est pas une thérapie en soi ; chaque session porte sur un thème particulier : négociation des aménagements de travail, gestion du stress… Le groupe est donc là pour trouver, à plusieurs, des stratégies à adopter afin de gérer les relations interpersonnelles, réaliser ses tâches de travail... C'est très « normalisant » puisque les personnes partagent la même expérience. Elles peuvent avancer dans leurs réflexions sans craindre de jugement. Si la personne est atteinte d'un trouble mental grave, il s'agit de la préparer à la réintégration au travail.

H.fr : Vous proposez aussi des questionnaires pour évaluer les obstacles à l'insertion et au retour au travail.
MC : Il en existe deux, avec des énoncés différents selon les troubles psychiques observés. Le questionnaire OITES (Obstacles à l'insertion au travail et sentiment d'efficacité pour les surmonter) s'adresse aux personnes avec un trouble mental grave, qui ne connaissent pas encore l'organisation dans laquelle elles travailleront. On demande d'abord d'identifier les obstacles rencontrés parmi une liste d'une soixantaine de thèmes : confiance en soi, compétences, préjugés de l'employeur... Ensuite, lorsque l'obstacle précis est mentionné, on demande à la personne si elle se sent capable de le surmonter. L'aspect positif, c'est qu'on peut évaluer le sentiment d'efficacité de l'individu pour savoir s'il est en mesure de surmonter ses difficultés. L'intervenant offre alors des stratégies pour dépasser ces obstacles.
L'autre questionnaire, l'ORTESES (Obstacles au retour au travail et sentiment d'efficacité pour les surmonter) est destiné aux personnes avec des troubles psychiques courants. Dans ce cas, on pose des questions sur son environnement de travail existant : la relation avec le supérieur immédiat, les collègues… Parfois, le milieu est toxique et le niveau d'appréhension assez élevé. Notre travail est d'identifier ces appréhensions pour permettre à l'individu un retour au travail durable.

H.fr : Quels retours observez-vous après exploitation de ces outils ?
MC : Ils sont plutôt positifs. Les personnes directement concernées nous disent souvent : « C'était un long travail à faire mais, au bout du compte, je réalise que j'ai pu faire le portrait de ma situation.  Cela va me permettre d'avancer. » Quant aux cliniciens, ils attendaient la validation du questionnaire avant de pouvoir l'utiliser. L'ORTESES a été approuvé en juin 2016 ; il est aujourd'hui disponible gratuitement, et les praticiens y ont souvent recours.

H.fr : Ces outils s'appliquent-ils uniquement en cas de troubles psychiques ?
MC : Notre objectif est de les adapter à d'autres problématiques de santé, par exemple en cas de troubles musculo-squelettiques à la suite d'un accident. Nous avons également adapté le questionnaire ORTESES aux personnes qui ont des problèmes cardio-vasculaires et aux femmes qui souffrent d'un cancer du sein. Ces adaptations sont en cours de validation. Peu importe le problème de santé et, mis à part quelques spécificités relatives à la maladie, les personnes vont rencontrer des difficultés similaires pour retourner au travail. Dans tous les cas, notamment lorsque la maladie est invisible à l'œil nu, la personne appréhende un jugement. Cette notion de stigmate social fait partie des choses basiques qu'il est important d'aborder.

H.fr : Et en ce qui concerne le maintien dans l'emploi après insertion ?
MC : Nous avons un autre outil à disposition : l'échelle WANSS (en anglais, Work accommodation and natural support scale), utilisée par l'accompagnateur mais parfois aussi par le supérieur hiérarchique ou le responsable ressources humaines. Ce questionnaire regroupe les aménagements de travail reconnus comme étant les plus efficaces, peu importe le trouble psychique. Ils concernent la flexibilité des horaires, l'environnement à adapter... Nous savons, par exemple, que les personnes schizophrènes peuvent avoir des troubles cognitifs. Dans ce cas-là, il faut essayer de réduire les stimuli visuels ou sonores. Ensuite, il est primordial de voir comment on priorise ces aménagements, la plupart du temps réalisables et modiques. C'est un véritable processus de négociation avec l'employeur.

H.fr : Vous évaluez également ce qui fait la compétence d'un accompagnateur. Qui peut jouer ce rôle ?
MC : À notre connaissance, les accompagnateurs n'ont pas de formation académique « sur mesure ». Ces conseillers apprennent sur le tas. Il peut donc y avoir une grande variabilité en termes de compétences. Nous avons d'ailleurs défini deux autres questionnaires, l'inventaire de l'alliance de travail et la BAKES (en anglais, Behaviors, attitudes and knowledge in employment specialists) pour identifier les compétences nécessaires à un bon accompagnement. Il faut que la personne et le conseiller s'entendent sur les buts à atteindre et les tâches à réaliser, mais il doit également y avoir un lien émotionnel entre les deux acteurs. Pour ce qui est de la BAKES, ce questionnaire comporte 12 échelles, qui visent, par exemple, à montrer comment dépasser le stigmate social et l'auto-stigmatisation et comment l'accompagnateur peut entretenir des liens de collaboration avec les employeurs ainsi que l'équipe soignante.

© Marc Corbière

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Aimée Le Goff, journaliste Handicap.fr"
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