Psychiatre et chercheur en psychopathologie à l'Université Paris Diderot, Bernard Pachoud défend le concept de rétablissement. Il interviendra aux 1re Assises de Messidor, association qui vise à accompagner vers l'emploi les personnes en situation de handicap psychique, le 13 octobre 2016 à Lyon. Selon lui, si l'approche purement médicalisée de la psychiatrie classique n'est pas à remettre en question, l'accompagnement et l'attention portée au devenir de la personne « en dehors » de sa maladie sont complémentaires et essentiels. Explications.
Handicap.fr : Le concept de rétablissement ne signifie pas la guérison d'une personne. Quelle différence établir entre les deux ?
Bernard Pachoud : La notion de guérison concerne le devenir de la maladie, alors que le rétablissement concerne le devenir de la personne. Ce sont deux choses indépendantes. Le rétablissement ne suppose pas nécessairement de rémission clinique : dans certains cas, la maladie d'une personne évolue bien mais si elle reste isolée et désœuvrée, sa qualité de vie est médiocre. À l'inverse, parfois, la maladie évolue moins bien, il reste des troubles, mais si l'environnement offre une vie sociale et des activités, la qualité de vie de la personne et son devenir sont satisfaisants. Cette conception s'oppose au préjugé médical selon lequel seul l'état de santé conditionne la vie d'une personne. On a tendance à penser qu'une fois la maladie guérie, le reste devrait s'améliorer tout seul. Mais, en cas de pathologie chronique désocialisante et de troubles mentaux graves, il ne suffit pas de stabiliser l'état de santé. Il importe d'aider la personne à reconstruire sa vie sociale.
H.fr : L'emploi, par exemple, participe à cette reconstruction.
BP : Le travail structure les journées et favorise la vie sociale. Il occupe, rend efficace, donne une identité professionnelle. Il restaure l'estime de soi, permet d'être reconnu pour sa contribution à la collectivité et non pour sa maladie mentale. C'est probablement l'un des meilleurs vecteurs de reconstruction identitaire. Mais, s'il reste un facteur privilégié, il n'est pas le seul.
H.fr : Justement, quelles sont les autres conditions de rétablissement ?
BP : C'est difficile à définir précisément. Se rétablir, c'est se réengager dans une vie active et sociale, et aller vers un projet de vie qu'on choisit de privilégier. À trop définir le rétablissement, on risque de devenir normatif, en disant par exemple « pour être rétabli, il faut être en couple, avoir un travail à tout prix, manger cinq fruits et légumes par jour », ce qui revient à exiger une forme de normalisation sociale. Il faut y être attentif. C'est une dérive qui motive certaines critiques du mouvement du rétablissement. L'important, lorsque l'on accompagne une personne dans ce processus, est de la laisser faire ses choix de vie de façon autonome tout en assurant un rôle de protection.
H.fr : Donner de l'autonomie à la personne tout en la protégeant. Comment jouer ces deux rôles à la fois ?
BP : Il faut pouvoir favoriser l'autonomie, l'auto-détermination, sans oublier le devoir de protection. En ce qui concerne la santé mentale, lorsque les patients ont des projets irréalistes, on peut se trouver en difficulté. Si quelqu'un veut faire de la haute montagne sans en avoir les compétences, il faut savoir prévenir une prise de risque excessive et l'aider à rester dans la réalité sans briser ses rêves. Si on est trop protecteur, on fait obstacle aux démarches de réinsertion sociale. Accompagner en visant le rétablissement, c'est donc être confronté à ce dilemme éthique et essayer, en permanence, de trouver l'équilibre entre promouvoir l'autodétermination et protéger quand il le faut.
H.fr : Observe-t-on des résultats chez ceux qui adoptent cette pratique ?
BP : Là encore, c'est difficile à quantifier en raison de facteurs indirects. En tout cas, les institutions qui cherchent à promouvoir le rétablissement ont de bons résultats. À titre d'exemple, l'association Messidor et le Clubhouse le revendiquent. Ce sont des organismes efficaces en matière d'accompagnement vers l'emploi.
H.fr : Le rétablissement serait donc plus un processus qu'un état ?
BP : Il est utile de faire la distinction. Envisager le rétablissement comme un état pose le problème des critères d'accès à cet état. À nouveau, on risque de pousser à la normalisation sociale. Il est plus juste d'envisager le rétablissement comme une démarche, un processus. Ses militants insistent sur le fait que c'est un chemin non linéaire, jamais terminé. Il peut y avoir des rechutes et ce n'est pas grave. Ce qui compte, c'est de rester engagé dans la démarche et de garder une vision positive de l'avenir…
H.fr : Qu'est-ce qui peut favoriser ou au contraire entraver ce cheminement ?
BP : Il y a d'abord un facteur personnel primordial. Il faut que la personne ait retrouvé l'espoir d'un avenir favorable, ce qui change son regard sur sa situation de handicap. Cela signifie avoir la volonté de reprendre sa vie en main et progresser vers cet avenir. Il est essentiel que l'entourage partage cette vision : la famille, les proches, les professionnels de santé et, plus globalement, la société. À l'inverse, les préjugés constituent un obstacle à surmonter. Ils concernent toutes ces idées fausses selon lesquelles la maladie mentale est incurable, gage d'incompétence et de danger potentiel. Ces croyances erronées, qui engendrent des peurs, contribuent à l'exclusion des personnes malades. Qui ose embaucher une personne schizophrène ? C'est une double difficulté parce que ces préjugés sont intériorisés par les patients, qui s'interdisent de vivre comme tout le monde. Beaucoup ne se permettent pas l'accès à des loisirs ou estiment qu'ils ont peu de chances d'accéder à un logement autonome. Pour être engagé dans une voie de rétablissement, ils doivent surmonter ces préjugés et retrouver une estime de soi positive. Pour y parvenir, les groupes de soutien et d'échanges entre pairs sont précieux. Ils permettent de raconter son histoire et de partager des expériences similaires. Leurs effets sont réellement bénéfiques.
H.fr : Vous constatez que le concept de rétablissement met beaucoup de temps à se développer en France, alors qu'ailleurs il est discuté depuis 30 ans, notamment dans les pays anglo-saxons. Comment expliquer cet écart ?
BP : Tant que l'on reste dans une approche très médicalisée, le principe de protection continue de prévaloir. Moins sensible à quelque chose qui défend d'autres valeurs, on prendra donc moins de risques, on accordera moins d'autonomie à une personne aux prises avec un trouble mental sérieux. Ce décalage avec la culture anglo-saxonne s'explique aussi par des raisons philosophiques ; dans le monde anglo-saxon, la conception de l'accès à l'autonomie est plus flexible et individualiste. En France, on pense l'accompagnement dans le cadre d'institutions et il y a plus de réticence à l'individualisation.
© MessidorSur handicap.fr