Chronique Croizon : accessibilité de 2015, où en est-on ?

Pour sa rubrique du 22 avril 2014 dans le Magazine de la Santé (France 5), Philippe Croizon, en partenariat avec handicap.fr, aborde l'accessibilité de 2015. C'est dans 7 mois. L'échéance se rapproche mais le bilan est plutôt alarmant.

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En 2005, la loi handicap donnait dix ans aux Etablissements recevant du public et aux transports pour se rendre accessibles aux personnes handicapées. Qu'est-ce que cela signifie ?
Ceux qu'on appelle les ERP (Etablissements recevant du public) peuvent être des magasins, des restaurants mais aussi des mairies ou des piscines… La notion d'accessibilité concerne tout type de handicap : moteur, visuel, auditif mais aussi mental. Installer une rampe inclinée ou un monte-charge s'il y a des escaliers pour les personnes ayant des problèmes de mobilité, équiper une chambre d'hôtel d'alerte lumineuse pour les personnes sourdes en cas d'incendie, installer une bande podotactile pour signaler un danger aux personnes ayant une déficience visuelle.

Et l'accessibilité pour une personne avec un handicap mental, par exemple trisomique ?
Cela peut être une signalétique avec pictogrammes dans un magasin, des codes couleur pour se guider dans le métro ou des explications simplifiées dans un musée.

Au 1er janvier 2015, tous les établissements recevant du public (dits de 5ème catégorie) en France seront donc accessibles ? C'est une bonne nouvelle !
Oui, en théorie, car la réalité est bien différente. On estime que seulement 15 % d'entre eux ont engagé les travaux nécessaires. On le sait depuis des mois, et les associations de personnes handicapées n'ont pas cessé de tirer la sonnette d'alarme, dénonçant le manque de volonté politique. Mais, en l'absence de sanctions annoncées, les établissements concernés, tout comme le gouvernement, ont laissé filer le calendrier. Les deux arguments qui reviennent systématiquement : « Ça coûte trop cher et on n'a pas eu assez de temps ! ». Or il faut savoir que la première loi sur l'accessibilité date de 1975. 40 ans, c'était quand même suffisant !

Alors, fin février 2014, le gouvernement annonce de nouveaux reports...
Oui, et là, évidemment, les associations crient au scandale même si aucune d'entre elles ne se faisait d'illusion. La date buttoir est repoussée de 3 à 9 ans. Mais il y a quand même quelques nuances. Le gouvernement s'engage à définir ce qu'on appelle des « Agendas d'accessibilité programmée ». Ils contraignent les acteurs publics et privés qui ne seront pas en conformité au 1er janvier 2015, à s'engager sur un calendrier précis et resserré de travaux. Les petits établissements, tels que les commerces de proximité, les petits hôtels, les cabinets médicaux, pharmacies ou les mairies de petites communes, auront, une fois leur agenda validé par le préfet, jusqu'à trois ans pour se mettre en conformité. Cela concerne à peu près 80% des ERP.

Et pour les patrimoines plus importants, par exemple les chaînes d'hôtels ou de commerces, les grands stades, les crèches ?
Ce délai pourra être porté à six, voire neuf ans. Pour les transports, les délais maximum seront également compris entre trois pour les transports urbains et neuf ans pour le ferroviaire. Cette fois-ci, le gouvernement a insisté sur le « caractère irréversible » du dispositif. A l'issue de cette période, des pénalités seront appliquées. Pour les aider à financer leurs travaux, les collectivités locales et entreprises pourront solliciter des prêts spécifiques. Devant l'échec collectif du non-respect de la loi depuis 40 ans, le gouvernement a sans doute choisi la moins mauvaise des solutions.

Comment convaincre la société toute entière que ces investissements sont bons pour tous ?
C'est un peu le problème de cette loi qui n'a malheureusement bénéficié d'aucune campagne de communication pour l'expliquer et la faire comprendre. J'irai même plus loin, elle a stigmatisé les personnes handicapées, qu'on prend parfois pour des "emmerdeurs". "A quoi bon engager des investissements aussi importants pour une minorité ? " se disent de nombreux commerçants. De toute façon, des "handicapés", je n'en vois jamais dans ma boutique ! Et, pour cause, elle est inaccessible. Alors que si on avait expliqué que l'accessibilité était pour tous les citoyens, qu'elle était ce qu'on appelle aujourd'hui "universelle", la pilule serait peut-être mieux passée.

C'est quoi l'accessibilité universelle ?
Ce n'est pas compliqué. Avez-vous déjà circulé en ville avec une poussette, avez-vous déjà pris le métro avec une jambe cassée ? On estime à 15 % le nombre de personnes handicapées en France. Mais combien sont « en situation de handicap », et j'insiste sur ce terme, si on y rajoute les femmes enceintes, les personnes âgées, les livreurs, les voyageurs avec valises ou les étrangers qui ne parlent pas notre langue et ont, par exemple, besoin de pictos ou de consignes simples pour se repérer ? Je vais vous donner un exemple : pour sortir de la gare de Nice, il y a une volée de marches et juste un plan incliné d'un mètre de large pour les fauteuils roulants. Or la plupart des passagers avec valise à roulettes font la queue à ce petit passage parce que c'est plus confortable pour eux.

Et pour les petits commerçants qui n'ont pas les moyens de réaliser les travaux, que se passe-t-il ?
Ils peuvent, selon leur chiffre d'affaires, demander une dérogation au préfet. Mais, dans tous les cas, tous les ERP doivent avoir obligatoirement programmé un agenda des travaux. Il faut aussi savoir que les petits commerçants ont tout intérêt à réaliser les adaptations nécessaires pour ne pas voir leur bien se dévaluer lors d'une revente ultérieure car tout nouvel acquéreur d'un commerce a l'obligation de réaliser ces travaux, sans aucune dérogation possible.

Mais la France a la particularité de posséder un patrimoine historique hors du commun où la mise en accessibilité est parfois impossible.
Compliqué peut-être mais impossible jamais. Alors oui, certaines dérogations seront certainement justifiées. Mais je vais vous donner un exemple qui prouve que rien n'est irréalisable. A Doué-la-Fontaine, en Anjou, Karine et Christophe viennent d'ouvrir des chambres d'hôtes troglodytiques, du nom de « La rose bleue », situées à 15 mètres sous terre. Eh bien, dès le début de leur projet, ils ont prévu un monte-charge pour accueillir tous les visiteurs sans restriction. C'était un sacré défi technique puisqu'il a fallu grignoter la roche. Mais ils l'ont relevé. 20 000 euros certes. Cet investissement offre un bénéfice à tous leurs clients qui sont bien contents, pour accéder au cœur de ce site insolite, de ne pas avoir à transporter leur valise dans un escalier tortueux.

Ce sont apparemment des investissements très importants, que certains professionnels ne sont peut-être pas en mesure d'assumer…
Certains établissements privés, peut-être, mais que dire des établissements publics, qui ne sont pas plus en avance ? Et puis je vais vous citer un autre exemple. Jean-Luc Hoffmann est boucher à Haguenau dans le Bas-Rhin. Pour accéder à son commerce, il y avait sept marches. Alors, mettant à profit des travaux de rénovation, il a décidé d'installer une rampe. Il a dû investir 100 000 euros supplémentaires rien que pour l'accessibilité ! Mais le bilan est ultra-positif : 20 % de chiffre d'affaires en plus et sa clientèle est aux anges. Il prétend que, pour réussir, il faut s'en donner les moyens. Mais sans aller jusqu'à de telles sommes, un petit investissement permet parfois de simplifier la vie du plus grand nombre. Selon ce boucher, c'est davantage une question de volonté que d'argent. Un véritable engagement citoyen. Depuis qu'il a réalisé ces aménagements, il a eu l'occasion de rencontrer pas mal de personnes handicapées et comprend mieux leurs doléances.

Le problème, c'est que la France a fixé des objectifs très précis qui donnent aux professionnels le sentiment de devoir engager des travaux parfois titanesques…
Même si tout n'est pas forcément rose ailleurs, il faut savoir que chez certains de nos voisins européens, et notamment dans les pays du nord, on a organisé ce « vivre ensemble » depuis longtemps déjà. Mais, ailleurs, la législation est finalement moins ambitieuse et permet de s'attaquer à la question avec plus de souplesse. La loi britannique parle de réaliser des « adaptations raisonnables » et la suédoise de faire disparaître « les obstacles faciles à supprimer ». C'est peut-être finalement notre désir de « très bien faire » qui a joué contre nous.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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