Diabète : 77 % des patients face à la souffrance psychique

Épuisement, anxiété, isolement : 77 % des personnes diabétiques affrontent une souffrance psychique invisibilisée. Étude inédite, témoignages et pistes d'action secouent les lignes pour une prise en charge enfin globale.

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Une femme assise sur son lit, se tient la tête, en montrant son taux de glycémie

« Le stress me colle à la peau, je me demande souvent si je serai encore en état d'accompagner mes enfants dans quinze ans. » Le témoignage de Cédric, 46 ans, diabétique de type 1 depuis ses 20 ans, illustre la charge mentale qui pèse sur de nombreux patients. Selon le baromètre DiaMind, publié en novembre 2025 par la Fédération française des diabétiques (FFD), 77 % des personnes diabétiques déclarent avoir déjà souffert d'un trouble psychique lié à cette maladie chronique qui touche 4 millions de Français.

En 2025, alors que la santé mentale est érigée en Grande cause nationale, la FFD braque les projecteurs sur cette souffrance longtemps passée sous silence. Car « vivre avec un diabète, ce n'est pas seulement contrôler sa glycémie », rappelle-t-elle. C'est affronter chaque jour une avalanche de décisions, d'anticipations, de peurs… et parfois une solitude vertigineuse.

Le poids des injections et du contrôle permanent

Le diagnostic tombe parfois comme un coup de massue : posé dans l'urgence, après une hospitalisation brutale. « Le vécu de l'annonce peut laisser une trace durable et compliquer l'acceptation de la maladie », souligne Sarah Clément, psychologue clinicienne à l'hôpital Jean-Verdier de Bondy (Seine-Saint-Denis), spécialisée dans l'accompagnement des maladies chroniques, en particulier du diabète. Pour Cédric, le diagnostic est tombé en 2000, suivi de deux semaines d'hospitalisation. « On m'a appris comment me piquer puis on m'a fait comprendre que si j'oubliais de le faire, je pouvais faire un coma, se souvient-il. J'ai compris que je n'en guérirai pas. » Certains patients doivent réaliser « jusqu'à cinq injections par jour », complète Sarah Clément, un rythme qui « alourdit considérablement la charge mentale ». À cela s'ajoute une extrême vigilance : « Je contrôle très souvent ma glycémie », raconte Cédric, désormais équipé d'une pompe à insuline. « Mais dépendre d'une machine, ce n'est pas forcément facile à accepter ».

Les dispositifs médicaux : un effort mental quotidien

Même la technologie ne permet pas de dissiper les doutes : « Est-ce que ça va me libérer ou est-ce que je serai plus stressé ? », s'interroge-t-il, à l'idée de passer en boucle fermée, un système automatisé d'insuline. « C'est un saut dans le vide car je ne contrôlerai plus mon taux d'insuline. » Comme Cédric, 50 % des patients estiment que les dispositifs médicaux demandent « un effort mental important au quotidien », tandis que la gestion des médicaments représente un défi pour 38 % des diabétiques de type 1 et 60 % des diabétiques de type 2. Une différence qui s'explique par des traitements souvent plus variables, évolutifs et cumulés chez les DT2, contraints d'ajuster les médicaments au fil du temps, alors que les DT1 vivent une charge certes lourde mais plus stabilisée autour de l'insuline. Une réalité d'autant plus préoccupante que « plus la détresse est élevée, moins bien la maladie est gérée », souligne Sarah Clément, qui commente l'étude.

La santé mentale, « angle mort » de la prise en charge

Si plus de trois quarts des personnes diabétiques rapportent une souffrance psychique, seule une partie d'entre elles accède à un diagnostic : pour un tiers des patients, cette détresse a été identifiée par un professionnel. Ce faible taux traduit autant la prévalence du mal-être que le manque de recours au soutien psychologique. Un manque amplifié par l'absence d'études françaises : « La santé mentale des personnes diabétiques est longtemps restée un angle mort scientifique », rappelle Sarah Clément. « La voie est ouverte aux chercheurs ! »

Les femmes et les ménages précaires en première ligne

Les inégalités socio-économiques accentuent ces fragilités : parmi les personnes gagnant moins de 1 400 euros, 27,4 % sont touchées par une dépression, contre 6,9 % au-dessus de 2 900 euros. Les femmes sont, elles aussi, particulièrement exposées : « 33 % présentent une symptomatologie certaine d'anxiété, contre 19 % des hommes », précise l'étude. « La détresse liée au diabète est une réponse émotionnelle spécifique à la gestion de la maladie et à ses contraintes, qui devient problématique lorsqu'elle prend toute la place dans la vie du patient, explique Sarah Clément. Elle nécessite donc une prise en charge adaptée. » Certains voient même leur diabète émerger après un événement traumatisant – deuil, accident, séparation –, un facteur méconnu que DiaMind met en lumière.

Un rapport complexe à l'alimentation

Le diabète ne se vit jamais seul, et le regard des autres peut devenir un fardeau supplémentaire. Les remarques de l'entourage – « c'est de ta faute, tu as mangé trop de sucre » – laissent des traces, nourrissant culpabilité et isolement. Le rapport à l'alimentation, lui, se complique au fil du temps. Les personnes diabétiques doivent jongler avec des objectifs diététiques stricts, anticiper chaque repas et composer avec des restrictions parfois difficiles à tenir. Un terrain propice aux dérives : « le risque de troubles du comportement alimentaire est réel », alerte la psychologue. Une situation que des attitudes soignantes maladroites peuvent aggraver : « Si un patient se sent jugé ou culpabilisé, la détresse explose ; s'il se sent soutenu, elle diminue », poursuit-elle.

Des projets de vie freinés

Pour beaucoup, le diabète rebat aussi les cartes des projets de vie. « Certains doivent renoncer à leur projet professionnel, comme le fait de devenir gendarme », illustre Sarah Clément (Diabète : des métiers encore interdits malgré la loi). D'autres hésitent à fonder une famille, par crainte de transmettre la maladie à leurs enfants. Et comme si cela ne suffisait pas, l'administratif vient ajouter sa propre couche d'épuisement : permis de conduire temporaire à renouveler, justificatifs médicaux réclamés sans fin, assurances qui multiplient les obstacles... Cédric en a fait l'amère expérience : « Pour acheter une maison, mon assurance m'a collé une prime de 300 % », confie-t-il, encore sidéré par cette «très grosse injustice ». Aux contraintes du présent, s'ajoutent les angoisses liées à l'avenir : « Dans quinze ans, est-ce que je serai sous dialyse ? », se demande ce père de famille qui redoute l'impact sur sa vie de famille.

« Ne pas rester seul » : l'importance vitale du soutien

La première étape thérapeutique, selon Sarah Clément, consiste à reconnaître ce que vivent les patients : « Il faut les informer, ainsi que leurs proches, que cette détresse existe. Ce n'est pas une honte et ils ne sont pas seuls » Place ensuite à l'accompagnement, qui peut être individuel et/ou collectif. Selon DiaMind, 65 % des patients ont déjà consulté un psychologue ou un psychiatre depuis leur diagnostic ; un recours massif dont plus des deux tiers estiment qu'il leur a été « utile ». La psychologue et la FFD rappellent une précaution essentielle : « S'assurer que le thérapeute est bien diplômé d'État », condition indispensable, selon elles, pour éviter les pratiques douteuses.

Les groupes de parole et ateliers thérapeutiques occupent également une place centrale. « Le fait de voir un patient qui s'en est sorti et mène une vie 'normale' leur fait beaucoup de bien », observe Sarah Clément, qui souligne combien ces espaces permettent de « tisser des liens sociaux soutenants et rassurants ». La prise en charge concerne aussi les proches : « Accompagner la détresse parentale, c'est aussi accompagner les enfants », rappelle-t-elle, évoquant les groupes dédiés aux aidants dans certains services hospitaliers.

Des initiatives pour lutter contre l'isolement

Consciente de ces besoins, la Fédération française des diabétiques déploie un ensemble d'initiatives pour lutter contre l'isolement. La pair-aidance proposée dans le cadre du programme Élan solidaire, les Cafés diabète, la Ligne écoute solidaire ou encore les programmes d'accompagnement en ligne permettent d'offrir aux personnes concernées un soutien humain et accessible, complémentaire du suivi médical.

Une maladie qui pousse à se dépasser

Avec ses « 26 ans de diabète », Cédric porte malgré tout un message d'espoir : « Cette maladie m'a forcé à me dépasser dans tous les domaines et à faire plus de choses. » Études à l'étranger, doctorat, expatriation en Amérique du Nord, concerts à New York… « À ma sortie de l'hôpital, je n'aurais jamais cru ça possible ! », se félicite le musicien. Au-delà des chiffres, l'enjeu est limpide : permettre à chacun de vivre son diabète sans renoncer à ses rêves, et sans laisser la peur prendre toute la place.

© Nagaiets de Getty Images

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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