Présidente mais maman avant tout

Présidente de l'Unapei*, c'est une maman avant tout. Celle d'Axelle, 22 ans, polyhandicapée, autiste et malvoyante. Christel Prado a connu la précarité et le désespoir. Militante, elle porte la lutte contre l'exclusion dans ses tripes...

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*Unapei : Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis

Handicap.fr : Christel est une toute jeune fille, elle tombe enceinte, à l'étranger, rentre en France et cherche un travail alors qu'elle est enceinte jusqu'au cou... On sent une femme déjà terriblement combative !
Christel Prado : Oui, je crois que je n'ai peur de rien. Et puis, à six mois, tout dérape. Première hospitalisation pour Axelle. Le papa s'en va... J'ai 23 ans et je dois élever ma fille seule. Je souhaitais être hôtesse de l'air mais, pas vraiment le choix, j'opte pour la fonction publique car je ne peux pas prendre le risque de perdre mon emploi. Au CAMSP, la pédopsychiatre a pourtant tout fait pour que j'arrête de travailler...

H.fr : Les temps sont durs pour une femme seule ; vous avez connu la précarité ?
CP : Oui, je sais ce que c'est que d'avoir faim et froid. Obligée de bosser deux fois plus pour y arriver ! Je travaillais pour payer deux étudiantes qui se relayaient dans la journée pour garder ma gamine. Il était important qu'elle voie d'autres visages et qu'elle ne reste pas enfermée dans un bocal. Pour faire face aux nombreuses hospitalisations et rééducations, je devais sans cesse négocier avec mon employeur des « heures enfant malade », et j'ai subi un véritable harcèlement de sa part car il m'avait pris en grippe.

H.fr : Qu'appelez-vous harcèlement ?
CP : Il mettait dans mon équipe tous les employés réputés un peu « compliqués » au prétexte que « j'avais l'habitude de vivre avec les débiles ». J'étais archiviste et il m'avait sommé de mettre au pilon toutes les archives sur les débuts de la psychiatrie. Symboliquement, il savait ce que cela représentait pour moi. Alors j'ai fini par partir... J'ai trouvé un job de webmaster dans un Conseil général puis de prof associée à l'Université de Toulouse.

H.fr : Vous avez alors souhaité être destituée de vos droits de mère ?
CP : Oui, j'étais à bout. Axelle a un handicap très lourd, elle s'automutile, s'ouvre la tête, hurle... Impossible de la lâcher une seconde. Elle ne dormait pas plus de deux heures par nuit. Et, bien sûr, malgré mes nombreuses démarches, aucune place en établissement. On me ramassait à la petite cuillère car, partout où j'allais, les portes se refermaient. J'ai vraiment failli y passer ! Alors, la destitution de mes droits, c'était la seule façon pour trouver une place dans un établissement, sur décision du juge. Mais mes parents me l'ont déconseillée car ils estimaient que j'étais une bonne mère.

H.fr : Comment avez-vous résolu le problème ?
CP : J'ai confié ma fille à mes parents, jusqu'à ce qu'elle obtienne une place en IME, à l'âge de 10 ans ! Ils sont en quelque sorte devenus famille d'accueil, même si j'étais présente tous les soirs ou pour l'accompagner à ses rendez-vous. Ils étaient deux, pouvaient se relayer, et maman avait toujours voulu être éducatrice ; je savais qu'Axelle était entre de bonnes mains. Mais confier son enfant à ses parents reste une décision particulièrement difficile. C'est pour cette raison que j'ai commencé à militer, pour que d'autres mères ne soient pas obligées de faire comme moi.

H.fr : Vous vous sentiez coupable ?
CP : Evidemment ! D'autant que le système entier ne se prive pas de nous culpabiliser, surtout les mamans. Mais nos enfants ont besoin de mères heureuses. J'étais accompagnée par une psychiatre qui m'a dit : « Je ne peux pas aider les enfants avec autisme mais, par contre, je peux aider leurs parents. ». Elle m'a confié un livre qui retraçait le parcours de deux femmes : l'une qui avait arrêté de travailler et tout sacrifié à son enfant et qui en était presque morte après le décès de ce dernier, et l'autre dont l'enfant était en IME et avait continué à mener une vie de famille et de femme. J'ai fait mon choix... J'ai élevé mes deux enfants avec l'idée qu'une mère n'est pas seulement corvéable à merci. Mon fils me dit : « Tu n'es pas souvent là mais quand tu es là tu nous montres ce que l'on doit faire : avoir un travail, être indépendant, se réaliser en tant que femme... ».

H.fr : Et ce combat vous a mené jusqu'à la présidence de l'Unapei ?
CP : Oui, cela me permet de réaliser des choses que je n'ai pas pu achever en tant que maman. Grâce à l'éveil que m'a procuré Axelle, je consacre désormais toute ma vie aux personnes handicapées. Je réalise combien il est important de donner aux autres. Si Axelle n'était pas née, je serais probablement chercheuse en histoire. C'est donc grâce à elle que je contribue à construire un monde meilleur.

H.fr : Aujourd'hui, quelle relation entretenez-vous avec votre fille ?
CP : Elle est accueillie dans une MAS depuis qu'elle a 18 ans. Nous avons une relation super saine. J'ai pu la voir grandir, devenir une jeune femme et je la traite en tant que telle. Même si elle ne parle pas, nous communiquons à travers des regards ou des gestes furtifs.

H.fr : Vous avez été invitée à siéger, depuis 2010, au CESE (Conseil économique, social et environnemental) ?
CP : Ça a été un honneur immense car j'avais l'impression de passer d'un extrême à l'autre : d'une totale exclusion à la reconnaissance sociale. Je n'ai pas compris tout de suite pourquoi j'étais là mais, depuis, je sais que j'y ai pleinement ma place car je prends conscience de l'importance de cette assemblée citoyenne pour tous les exclus.

H.fr : La lutte contre l'exclusion, c'est ce qui motive le nouvel engagement politique de l'Unapei, dévoilé le 19 février 2013 ?
CP : Oui, en effet. Après plus de 50 années de combat, l'Unapei refonde son projet associatif global. Etre au plus près des besoins des personnes handicapées, c'est son ADN. Dans un contexte de crise financière, économique et sociale, ce sont toujours les plus vulnérables qui trinquent. Nous nous lançons dans une bataille juridique pour rendre effectif le droit à compensation des personnes handicapées sans solution. Lorsque deux enfants sortent du même ventre, il n'est pas normal qu'ils n'aient pas les mêmes droits. Et là, évidemment, c'est aussi la mère qui parle...

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