"Je pense qu'une personne aveugle est la plus à même d'expliquer ce dont nos sens sont capables", ajoute-t-il avant d'entamer une balade d'une heure et demie, à travers les rues sinueuses de la grouillante Alfama, dont les toits rouges dévalent en cascade une colline surplombant le fleuve Tage.
Carlos Silveira est là pour aider les promeneurs à se trouver des repères, malgré l'obscurité dans laquelle ils sont artificiellement plongés. En tapant des mains et en les invitant à scruter l'écho, il leur apprend à distinguer une étroite ruelle d'un espace plus dégagé.
Par groupes de deux, agrippés au bras d'un guide voyant qui les prévient de chaque obstacle, les randonneurs évoluent entre les voitures garées et les terrasses. D'un pas hésitant, ils descendent ses nombreux escaliers à la queue leu leu, étonnant touristes et habitants.
Si certains s'attendaient à une expérience "plus risquée", les craintes et les inhibitions du début sont vite dépassées par la richesse sensorielle d'Alfama, un quartier choisit par les organisateurs "pour son côté vivant et intimiste à la fois".
Les participants sont ainsi appelés à reconnaître l'entrée d'une église grâce aux dalles de pierre lisse, à sentir la proximité du fleuve depuis un mirador, à distinguer des vêtements séchant dans le lavoir public, choisir des fruits sur un étalage et nommer des arbres par leur texture ou leur odeur.
L'idée de ces promenades est partie des trois membres de l'atelier créatif "Cabracega", nom portugais du jeu de colin-maillard. Ils l'ont mise en place avec la collaboration de l'Association des aveugles et amblyopes du Portugal (ACAPO), à qui reviennent les 20 euros déboursés par chaque randonneur.
Les guides voyants appartiennent à une association du quartier, tandis qu'un membre l'organisateur de visites guidées Lisbon Walker évoque l'histoire du quartier, "pour aider les participants à se décontracter".
Lancé en juillet, au rythme d'une randonnée chaque samedi, avec des groupes de huit personnes maximum, le projet sera interrompu au mois d'août. "Mais l'initiative reprendra en septembre, peut-être sous un autre format", indique le membre de "Cabracega" Pedro Alegria.
"Nous envisageons des balades plus courtes, pour les enfants et des groupes d'écoliers, ou des visites pour les touristes étrangers", précise-t-il.
"On veut montrer qu'il n'y a pas que les yeux pour transmettre de l'information au cerveau", souligne Carlos Silveira, ajoutant à titre d'exemple que "si des parents d'enfants non-voyants font cette expérience, ils comprendront qu'être aveugle ce n'est pas la fin du monde et ils leur donneront les moyens d'être autonomes".
"Etrangement, dès que je me suis laissé aller, j'ai ressenti un grand confort, presque comme si on me berçait", confie un des participants, une fois le parcours terminé.
Après une petite collation à l'ombre d'un patio, les bandeaux sont retirés et les promeneurs reviennent sur leurs pas, pour voir tout ce qu'ils avaient uniquement senti ou entendu.
"Je le touche mais je sens moins que quand j'avais les yeux bandés", dit un d'entre eux, caressant l'olivier qu'il avait examiné quelques minutes auparavant. "On dirait que les yeux bloquent les autres sens", ajoute une de ses camarades.
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