H : Il y a manifestement des représentations très négatives autour de la sexualité des personnes handicapées ?
PD : On parle beaucoup de la nécessité de changer le fameux regard social sur le handicap mais quand il s'agit des sexualités, définir ce qu'il faudrait changer et pour le remplacer par quoi est loin d'être évident. Le discours du milieu associatif français est terrible sur ces questions. En mettant en avant par exemple la thématique de l'assistance sexuelle, que nous disent les associations ? Certainement pas que les personnes handicapées sont désirables. C'est même le contraire qui est sous-entendu : grosso-modo, certaines personnes ne pourraient jamais susciter le désir sexuel chez l'autre mais comme elles ont des besoins à satisfaire, l'assistance sexuelle serait la réponse toute trouvée. Il a bon dos le changement de regard !
H : Que pensez-vous de l'initiative de Cal'handis qui a édité, en 2010, un calendrier qui met en scène des personnes handicapées nues ?
PD : L'initiative de Cal'handis est à ma connaissance la tentative la plus intéressante qu'il y ait eu en France ces dernières années. Il reste malgré tout un certain héritage très français qui fait que son discours colle encore parfois aux catégories médicales. Mais il y a quand même l'affirmation d'une légitimité à se montrer en tant que corps désirable et pas uniquement désirant.
H : Il existe un Collectif handicaps et sexualité (CHS). Quelles sont ses actions ?
PD : Il regroupe quatre associations, dont l'APF, et milite, entre autres, pour une adaptation française des dispositifs d'assistance sexuelle qui existent déjà en Allemagne, au Danemark, en Suisse et aux Pays-Bas. L'assistance sexuelle est présentée comme quelque chose de subversif et de progressiste mais, à mon avis, cette pratique ne fait que dire et redire la suprématie du corps valide qui viendrait répondre aux besoins des personnes handicapées.
H : Vous ne semblez pas particulièrement partisan de cette solution...
PD : Mettre sur la table cette question a au moins l'avantage de donner l'occasion de montrer les incohérences des discours communs sur le handicap. On a tendance à penser le handicap en fonction d'un mouvement unilatéral qui va toujours de la personne valide vers la personne handicapée. L'assistance sexuelle l'illustre bien. De mon point de vue, il est nécessaire de modeler l'environnement pour que chacun puisse y goûter, de promouvoir l'idée que de nombreuses manières de découvrir le monde sont légitimes. Si quelqu'un a besoin d'assistants et d'outils techniques pour découvrir le monde, c'est sa manière d'être et elle est légitime. Dans l'assistance sexuelle, je ne vois pas cet élan mais bien un retour au corps dans la pure tradition du modèle médical dans laquelle un professionnel formé aux spécificités des handicaps intervient sur l'individu en lui prodiguant quelque service spécifique dans un cadre confiné.
H : Mais c'est insoluble, comment faire entrer le sexe et le désir dans un milieu institutionnalisé ?
PD : Dans les établissements, tout est réglementé et votre moindre désir est analysé en réunion de synthèse. Il faudrait donc faire en sorte que le résident soit libre de prendre ses propres risques, de tester le monde et cela vaut aussi pour sa sexualité. La vie, c'est un peu ça, non ? Expérimenter le monde et s'expérimenter soi-même. Est-ce que la réponse doit venir du secteur médico-social ? Je n'en suis pas certain.
H : D'accord mais techniquement, en attendant, on fait comment ?
PD : Vous imaginez une sexualité qui devient un problème à résoudre techniquement ? On a toujours tendance à penser le handicap dans des termes pratico-pratiques. De mon point de vue, il manque une conscience collective qui fournirait de réelles ressources identitaires. Ces ressources existent mais elles sont mal connues. En France, Cal'handis est un premier pas. Le site britannique Disability arts online fournit des pistes intéressantes. La revue en ligne Disability studies quaterly, également. Les archives de l'université de Leeds, aussi. Et puis, le site d'Independant living... Se pencher là-dessus, c'est se donner les moyens de concevoir le handicap autrement que comme une chose négative tout juste bonne à compenser ou à se faire oublier.
H : Oui, mais j'insiste. Avant que les mentalités changent, et, on le sait, cela va prendre du temps, comment satisfaire les désirs immédiats ?
PD : Je ne pense pas que la question se pose en ces termes. Dans votre question, j'entends : « Comment calmer le jobard ? » Là où la culture issue des Disability studies et d'Independant living est développée, les dispositifs d'assistance sexuelle n'ont pas lieu d'être.
H : Pourquoi n'avez-vous pas également orienté votre thèse vers la situation des femmes ?
PD : Apprendre à être un homme, c'est souvent apprendre à être le plus fort. Et jouer le jeu valide, c'est un peu ça, aussi. Pour cela, l'entrée par les masculinités me semblait intéressante. Mais cette absence d'identité collective positive me parait concerner hommes et femmes. D'ailleurs, les hommes comme les femmes, qu'ils soient handicapés ou valides, ne sont-ils pas concernés par une culture qui cesserait de prôner la force et la performance individuelles ?
* Pierre Dufour est doctorant en sociologie à l'université du Mirail à Toulouse. Ses travaux portent sur le handicap et les masculinités.
Désir, sexe et handicap : un trio controversé ?
La sexualité des personnes handicapées soulève un vaste débat. C'est bien là le problème rétorque Pierre Dufour qui en appelle à des réponses individuelles et intimes, débarrassées de toute polémique institutionnelle !