Le moment est défini comme « historique ». Le 23 juillet 2020, la création de la 5ème branche de la sécurité sociale est votée par le Parlement. Elle sera dédiée à l'autonomie, venant compléter les protections accordées à la maladie, la vieillesse, la famille et les accidents du travail (article en lien ci-dessous).
L'autonomie dans ses grandes largeurs
Mais quelle place pour les personnes en situation de handicap dans ce chantier que l'on évoque puis repousse depuis tant d'années ? Début juillet, les acteurs du champ du handicap redoutaient d'en être exclus car les discours officiels ne mentionnaient que le grand âge. Brigitte Bourguignon, nommée à la tête d'un nouveau ministère dédié à l'Autonomie lors du remaniement du gouvernement Castex, se veut rassurante. S'exprimant le 24 août lors des premières universités d'été du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) (article en lien ci-dessous), elle réaffirme que sa feuille de route, englobant l'autonomie dans ses grandes largeurs, porte bien sur le grand âge et le handicap. Le duo Bourguignon- Cluzel (secrétaire d'Etat au Handicap) entend donc parler d'une « voix unie », avec un « socle commun », tout en conservant les spécificités liées à leur ministère respectif. « La problématique reste la même, assure Sophie Cluzel, l'objectif étant de favoriser le choix de vie de la personne, quel que soit son âge ou son handicap, en respectant une même équité territoriale ».
Périmètre à définir
Comment définir les contours de cette nouvelle branche ? Du côté des personnes handicapées, de nombreuses questions émergent : quelle place pour l'AAH (allocation adulte handicapé), mais aussi pour la PCH (prestation de compensation du handicap), quid du revenu universel ? Brigitte bourguignon prévient : « C'est un vrai chantier qui ne va pas se construire en une année ». Une première réponse doit être apportée par le rapport de Laurent Vachey qui sera remis au gouvernement le 15 septembre 2020. Il a questionné toutes les parties concernées (CNSA, CNCPH, associations…). Ce rapport porte sur trois axes : le périmètre de cette nouvelle branche, sa gouvernance et son financement. La tâche peut sembler titanesque… Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps, reconnait que « les questions soulevées sont techniques et compliquées ». Pourtant, Sophie Cluzel affirme qu'elle compte bien se servir de cette opportunité pour « simplifier l'accès aux droits et les rendre plus lisibles », en s'appuyant sur les enseignements de la crise sanitaire qui ont livré des pistes sur le choix de vie des personnes hors des murs des institutions. Le credo de ce grand projet sociétal : favoriser le maintien à domicile chaque fois qu'il est souhaité. Parmi les priorités : évaluer les besoins des personnes handicapées, renforcer la formation des professionnels qui les accompagnent et revoir l'attractivité de ces métiers qui souffrent de « disparités territoriales insupportables », selon B. Bourguignon, mais aussi développer une stratégie pour mieux accompagner les aidants.
Marie-Anne Montchamp, présidente du Conseil de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), à qui reviendra la responsabilité de piloter cette nouvelle branche, reconnait que « la crise actuelle a mis à rude épreuve l'autonomie » et que « le système de protection sociale n'a pas eu l'occasion d'exprimer son plein potentiel ». Les personnes dépendantes ont payé un « lourd tribu » et l'égalité des chances n'était manifestement, selon elle, « pas au rendez-vous ». Elle ajoute : « Ce que nous vivons peut-être historique si nous faisons du bon boulot à nous tous ».
Un financement titanesque
Encore faut-il s'en donner les moyens… Et c'est sur cette question que les craintes s'avèrent les plus légitimes. Dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé, fragilisé par la crise de la Covid, avec un remboursement de la dette sociale repoussé de 2024 à 2033, où trouver l'argent ? C'est résoudre la quadrature du cercle. Le budget actuel de la CNSA pour financer la politique de l'autonomie (personnes handicapées et âgées) est de 27 milliards d'euros, mais « l'effort de la nation », ce que chaque Français consent à ce domaine, s'élève à 66 milliards (englobant l'AAH, le budget des collectivités territoriales, du Fiphfp et de l'Agefiph…), auxquels il faut ajouter les dépenses liées au logement, à l'aménagement du territoire, à l'emploi, à l'Education nationale…
L'autonomie ressemble à une poupée russe dont le budget se chiffre, en réalité, à plusieurs dizaines de milliards. Il faut donc clarifier le modèle de cette 5è branche « pour pouvoir demander un effort supplémentaire aux Français » (par un jour férié de moins ? la hausse des charges salariales ?), ajoute Marie-Anne Montchamp, rappelant que chacun de nous est ou sera concerné par cette question. Elle reconnait néanmoins qu'il faut « mieux définir les besoins de la politique handicap qui sont aujourd'hui mal évalués ».
Plus de moyens ou pas ?
Si Sophie Cluzel affirme qu'il ne « faut pas forcément plus de moyens mais des moyens plus objectivés », Luc Gateau, président de l'Unapei, assure que, « pour redonner un nouveau souffle à notre protection sociale, il faut s'en donner les moyens », déplorant la situation excessivement précaire des aidants et de nombreuses personnes handicapées laissées sans solution. Point de vue partagé par Arnaud de Broca qui consent qu'on peut « dépenser mieux mais qu'il en faudra plus pour améliorer la vie des personnes en perte d'autonomie » et donner toutes ses chances à « cette grande réforme sociale » ; le Collectifs handicaps promet également ses propositions pour le 15 septembre. Un même objectif est partagé par Sophie Cluzel : rationaliser la gestion au plus près des territoires (comme défini dans la feuille de route MDPH 2022), avec une animation par la CNSA au plus près des besoins, via une gouvernance à la fois nationale et locale.
Grand RV à la rentrée
Pour Brigitte Bourguignon, la question financière n'est pas encore tranchée mais « tout est sur la table ». Prochaines étapes : le PLFSS (projet de loi de finances de la sécurité sociale) 2021 ou encore le Laroque de l'autonomie qui doit être lancé en septembre 2020 (réflexion sur la 5ème branche et le projet de loi Grand âge et autonomie), dans lequel la ministre espère « embarquer les personnes concernées ». Le CNCPH entend y prendre toute sa place et promet lui aussi sa copie pour la rentrée. Jérémie Boroy, son président, assure qu'il « n'est pas favorable à ce que son instance soit indéfiniment réservée au handicap », et assure à la ministre de l'Autonomie qu'elle peut s'appuyer sur l'expertise de ses 160 membres. Il n'existe en effet pas d'équivalent du CNCPH pour le grand âge… Une longueur d'avance pour le handicap ?