Handicap.fr : Quelle est l'origine de votre handicap ?
Yoann Quilliou : A 14 ans, j'ai eu un cancer très agressif avec récidive dans la jambe droite et des métastases au poumon. On me donnait 6 mois à vivre. Et, dans l'insouciance de l'adolescence, un jour, on m'a dit, « On va amputer ta jambe ». Il me reste à peine 10 cm de fémur.
H.fr : Comment avez-vous réagi face à cette annonce ?
YQ : J'ai mis mes études de côté pendant un an même si je suivais des cours à domicile. Mais mes parents n'ont jamais rien changé à leur éducation alors j'ai très vite raccroché les wagons. J'ai passé le Bac avec ma prothèse puis j'ai suivi un DUT et une licence pro.
H.fr : Vous étiez déjà sportif à l'époque ?
YQ : Je faisais du foot ; j'étais plutôt sports collectifs. Mais, après mon amputation, j'ai choisi un sport individuel car j'avais des choses à me prouver. Ce fut donc le tennis-fauteuil. J'ai frappé ma première balle à 22 ans ; j'en ai aujourd'hui 30.
H.fr : Votre handicap n'a jamais constitué un frein dans votre vie ?
YQ : Si, au début. J'avais le sentiment que tous les yeux étaient rivés sur moi. Puis il est devenu une force. Je n'ai jamais baissé les bras, toujours cru en mes capacités. Les gens s'interrogeaient en me voyant boiter, je bidouillais ma prothèse, les faisais rire... J'ai compris que la plupart étaient plus curieux qui réticents. Mais il est vrai que, pour notre génération, les choses ont pas mal changé, dans le bon sens, notamment en matière d'accès aux études supérieures.
H.fr : Aujourd'hui, quel est votre palmarès en tennis fauteuil ?
YQ : J'oscille entre la 5e et la 6e place de l'équipe de France qui compte 8 joueurs. En 8 ans, j'ai validé tous les échelons avec différents titres de champion de France. Je bénéficie depuis 2012 du statut de sportif de haut niveau qui, grâce à l'aide de l'Etat et du conseil général, me permet d'avoir des aménagements de temps de travail et des jours de « repos » en plus pour pouvoir participer aux tournois, une vingtaine sur les cent qui sont organisés dans le monde chaque année.
H.fr : La sélection pour Rio, ce n'est donc pas encore gagné ?
YQ : Il n'y aura que 4 sélectionnés. C'est donc très serré ! Il faut que je batte un des 4 joueurs en tête. Nous saurons si j'ai relevé le défi début juin 2016. Il y aura peut-être un 5e joueur remplaçant, en cas de blessure.
H.fr : Et côté ville, vous assurez aussi ?
YQ : Je suis assistant technique d'ingénieurs chez Areva. En gros, j'aide les équipes à la conception et à la fabrication d'équipements pour le transport et le stockage des combustibles usés.
H.fr Vous arrivez à mener emploi et tennis de front ?
YQ : Je bénéficie d'un temps aménagé, à 70%. J'ai fait le choix de ne pas négliger mon activité professionnelle car je sais que ma carrière sportive s'arrêtera un jour. Alors je fais en sorte que mon CV soit bien rempli et ma tête aussi... J'ai une vie très active, très prenante. Une double vie en somme. En tant que tennisman semi-pro, je dois trouver et négocier des contrats de sponsoring et me sers de cette expertise également dans ma vie professionnelle. Je crois que c'est ce profil atypique qui a convaincu mes partenaires. Rien ne pourrait se faire sans eux, le principal étant le groupe GSF, un des leaders français de la propreté et de l'hygiène des espaces de travail. Il s'est engagé à mes côtés en 2013 et m'accompagnera jusqu'aux Jeux paralympiques de Rio. Cela devrait durer car Jean-François Bennetot, son directeur de la communication, m'a déjà confirmé qu'il souhaitait poursuivre les missions handicap et diversité qui font partie des valeurs du groupe.
H.fr : Les entreprises misent-elles aujourd'hui davantage sur les handisportifs ?
YQ : Oui le haut niveau est en train de se professionnaliser grâce, notamment, à une plus grande médiatisation de nos performances et, d'autre part, à la création de clubs des supporters handisport. Mais ce ne sont évidemment pas les mêmes montants que pour les « valides ».
H.fr : Et quel soutien vous apporte la FFH (Fédération française handisport) ?
YQ : Elle a peu de moyens et soutient surtout les sports « médaillables », notamment la natation ou l'athlétisme car il y a plus de catégories de handicap. Pour le tennis, c'est plus compliqué car il n'y en a qu'une alors nous allons récupérer au maximum une ou deux médailles. Par ailleurs, il n'y a pas vraiment de soutien pour les jeunes adultes qui ont commencé en étant handicapés ; trois des quatre premiers du groupe France sont d'anciens joueurs de tennis valides. Moi je suis un pur produit du tennis fauteuil ! Je me permets de le dire, c'est important, car je dois me battre pour mener ma carrière et trouver des fonds.
H.fr : Vous affirmez donc qu'il y a une inégalité selon la nature du handicap ?
YQ : Disons que lorsque le handicap résulte d'une maladie, ce n'est pas la même chose que lorsqu'il survient après un accident et qu'il est couvert en tout ou partie par les assurances. J'ai toujours dû retrousser mes manches. Je dois travailler pour vivre et n'ai donc pas le même confort, notamment pour mes entraînements, à cause de mes contraintes professionnelles. D'autant que je m'entraîne dans un petit club des Yvelines alors que mes confrères peuvent s'entraîner à l'Insep ou à Roland-Garros.
H.fr : De quel budget avez-vous besoin pour chaque saison ?
YQ : Entre 30 et 50 000 euros. Une heure de tennis, c'est déjà 40 euros alors ça grimpe très vite lorsque vous pratiquez 5 ou 6 heures par semaine. Ensuite, presque six mois par an, je dois me déplacer à l'étranger pour participer à des compétitions sur le circuit international. Sans partenaires, impossible ! J'ai débuté avec l'argent tiré de ma propre poche mais, heureusement, aujourd'hui, la quasi-totalité de mes frais est couverte par mes sponsors.
H.fr : C'est quoi le plus « Quilliou » ? Comment avez-vous réussi à les convaincre ?
YQ : J'ai prouvé que je savais me battre ! Et puis j'ai réalisé un joli book dans lequel j'ai mis en avant le fait que j'occupais depuis sept ans un poste à responsabilité. Je sais ce que cela signifie de travailler en équipe. Je crois que c'est cela qui a plu à GSF. J'offre une vraie plus-value, je viens en soutien de la mission handicap et diversité du groupe pour mener des actions de sensibilisation auprès des salariés, comme des journées débats sur le handicap, ou à l'occasion d'actions de recrutement de travailleurs handicapés. Mais pas seulement ! Je fais des démonstrations de tennis fauteuil, j'interviens dans les écoles mais aussi dans les établissements de mon département, les Yvelines, avec l'envie de délivrer à ceux qui découvrent le handicap un message d'espoir. Un manager m'a dit un jour : « Avant, face au handicap, je détournais le regard mais depuis que tu es parmi nous, je sens que tu dynamises l'équipe ». Je crois que ma combativité rend les gens plus optimistes ; même face à mon fauteuil, ils conservent leur sourire.