Accessibilité au handicap : un des enjeux de l'Europe

L'Union prépare l'Acte européen sur l'accessibilité des biens et des services. Mais, sous les pressions politique et financière, une version plus light sera probablement votée. Sylvie Guillaume, vice-présidente du Parlement européen, alerte !

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Handicap.fr : L'Union européenne travaille actuellement sur un « Acte européen sur l'accessibilité des biens et des services ». De quoi s'agit-il ?
Sylvie Guillaume : L'UE compte actuellement 80 millions de personnes handicapées, sur 510 millions d'habitants, un chiffre qui devrait atteindre 120 millions d'ici 2020. Cette situation et son évolution auront inévitablement un impact sur la consommation et la circulation des biens et des services. Il nous faut donc anticiper. Cette proposition d'acte européen permettrait à ces personnes de bénéficier davantage de produits et services accessibles. Il s'agit de prendre en compte toutes les personnes à mobilité réduite et pas seulement celles touchées par un handicap.

H.fr : L'accessibilité des produits et des services, ça veut dire quoi ? Un exemple ?
SG : Cette liste est très vaste ; elle inclut les distributeurs automatiques de billets, de titres de transport et les bornes d'enregistrement automatiques, les PC et les systèmes d'exploitation, les téléphones et les équipements télévisuels, les services bancaires aux consommateurs, les livres électroniques, ainsi que les transports et le commerce en ligne. Les députés ont ajouté d'autres éléments à la liste, tels que tous les terminaux de paiement, les liseuses électroniques ainsi que les sites internet et les services des médias audiovisuels intégrés sur appareils mobiles. Les exigences en matière d'accessibilité couvriraient également l'environnement bâti à partir duquel le service est fourni. Un exemple assez emblématique : si le distributeur de billets est rendu accessible pour les personnes en fauteuil roulant, il faut aussi qu'une rampe permette d'y accéder. Sinon, ça n'a pas de sens.

H.fr : Mais quelle différence avec la Convention de l'ONU sur le droit des personnes handicapées ratifiée par l'UE en 2011 ?
SG : L'Acte européen, ce sont des règles qui sont propres à l'Union. L'idée, c'est qu'elle se dote d'objectifs et de moyens dans le cadre du marché intérieur. Il existe également une Convention européenne des personnes handicapées mais qui n'est pas nécessairement contraignante pour les Etats membres. Ce nouveau document de 400 pages, élaboré par la Commission européenne il y a quelques mois, a l'ambition d'être encore plus précis.

H.fr : Les gouvernements des Etats membres ont-ils leur mot à dire sur ce texte ?
SG : Bien entendu ! Comme tous les textes proposés, il a évidemment été discuté par le parlement d'un côté et les États membres de l'autre. Ce qui nous alerte, c'est qu'en général sortent des discussions en commission parlementaire un texte meilleur que celui qui arrive de la Commission européenne ; ce n'a pas été le cas sur ce texte. Il a été remanié à la baisse…

H.fr : 400 pages au total, peut-être ces mesures sont-elles trop contraignantes ?
SG : Le rapporteur de ce texte, le Danois Morten Løkkegaard, est un libéral, ce qui donne une orientation générale au texte. Mais nous savons qu'il y a eu de nombreuses pressions de la part des lobbies, qui ont poussé à minorer les exigences et réduire le champ d'action. Au final, le texte s'en tient manifestement au handicap et écarte d'autres publics comme les populations vieillissantes. Les discussions ne sont pas encore bouclées mais on sent que ça va être compliqué au niveau des gouvernements.

H.fr : Cela vous alerte ?
SG : Bien sûr, cette façon de faire est très décevante car ce texte part d'un très bon état d'esprit avec la volonté de renforcer une Europe plus inclusive et de faciliter la vie de tous. Mais, à cause des pressions économiques et politiques, on se retrouve avec des ambitions minorées.

H.fr : Mais il existe des lois nationales, et notamment en France celle de 2005. Alors pourquoi l'Europe doit-elle se saisir de ce sujet ?
SG : L'impulsion vient souvent de l'Europe. La loi handicap de 2005 s'est nourrie de cette impulsion. C'est à cela que servent les normes européennes. Si l'UE n'est pas à l'avant-garde, tous ceux qui, dans chaque pays, ont pour ambition de faire baisser les normes obtiendront gain de cause.

H.fr : Dans les autres pays, comment le handicap est-il pris en compte ?
SG : Cela dépend. Les traditions et les priorités nationales ont fait que certains secteurs ont évolué de façon plus approfondie. Par exemple, en Italie, les élèves sont inclus dans l'école ordinaire dès le plus jeune âge et il n'y a pas de système parallèle. Quant aux pays scandinaves, ils sont plutôt en avance sur les questions de l'environnement de vie avec des allocations dédiées à la vie autonome pour une compensation du handicap en totalité et un phénomène très poussé de désinstitutionnalisation. Mais chaque pays a ses propres curseurs… L'idéal serait de prendre ce qui marche le mieux dans chacun et d'avoir une « clause handicap » commune.

H.fr : Et dans les pays de l'Est, nouvellement entrés dans l'Union ?
SG : La situation est très contrastée et, dans certains pays, le traitement du handicap mental, par exemple, reste parfois vraiment détestable. Selon moi, l'un des objets de l'Union est de réduire les écarts et de faire évoluer les normes vers le haut. Le problème, c'est que certains pays se débattent dans des affres économiques, et le message passe donc moins bien. L'Union doit avoir une très forte capacité d'impulsion et d'harmonisation ; la question du handicap est très symbolique de nos enjeux car nous y sommes tous confrontés dans notre quotidien.

H.fr : Que va-t-il arriver à ce texte que vous considérez comme « affaibli » ? Quelles sont les prochaines étapes ?
SG : Il sera présenté mercredi (13 septembre 2017) en session plénière à Strasbourg, devant les 751 députés qui auront la capacité de le faire évoluer en live… ou pas. Mais je crains qu'il ne soit voté en l'état. Mon groupe (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) s'abstiendra car il ne nous satisfait pas.

H.fr : Faut-il pour autant se résigner ?
SG : Non car ce texte ne concerne que les biens et services. Or un autre travail démarre d'ici quelques mois, mené par une députée européenne, qui, d'une manière plus générale, va revoir la stratégie de l'Europe en faveur des personnes handicapées. Il y a plus de 1 000 amendements qui portent sur tous les secteurs : l'accessibilité, l'emploi, l'éducation… Un chantier beaucoup plus vaste !

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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