« Laisser partir » Vincent Lambert ou empêcher son « euthanasie déguisée » : la famille de ce tétraplégique français en état végétatif a exposé ses déchirements le 7 janvier 2015 devant la Cour européenne des droits de l'Homme, appelée à trancher dans cette affaire qui a relancé en France le débat sur la fin de vie. Les 17 juges de la Cour de Strasbourg ont écouté pendant deux heures les protagonistes de ce feuilleton judiciaire à rebondissements. Mais ils ne rendront pas leur arrêt « avant au moins deux mois », a estimé une source proche de la juridiction.
Un « feuilleton » à rebondissements
Victime d'un grave accident de la route en 2008, Vincent Lambert souffre de lésions cérébrales irréversibles et son état n'a cessé de se dégrader. Depuis un an, son épouse Rachel, appuyée par les médecins et six des huit frères et sœurs de son mari, souhaite le « laisser partir ». Mais les parents de Vincent, catholiques traditionalistes, s'y opposent. Ce sont eux, ainsi qu'une sœur et un demi-frère de Vincent Lambert, qui ont saisi les juges de Strasbourg. Ils contestent la décision prise en juin par la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d'État, d'autoriser l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles du patient. Leur requête avait conduit la Cour européenne à suspendre dans l'urgence l'application de cette décision (lire article en lien ci-dessous).
Une volonté exprimée
Son instance suprême, la Grande chambre, doit se prononcer sur la conformité de la décision de la juridiction française avec la Convention européenne des droits de l'Homme. Les dernières expertises médicales ont établi « une dégradation de l'état de conscience de M. Lambert », a plaidé devant la Cour, François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère français des Affaires étrangères, qui représentait le pays. C'est à raison que le Conseil d'État a considéré qu'une poursuite des traitements relèverait de « l'obstination déraisonnable », a-t-il fait valoir, jugeant que la législation française qui régit la fin de vie avait été respectée. Le Conseil d'État s'était aussi appuyé sur la volonté exprimée avant son accident par Vincent Lambert, selon sa femme, de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans un état de grande dépendance. Eprouvée, Rachel Lambert, 33 ans, n'a pas souhaité s'épancher devant les médias. Mais son conseil, Me Laurent Pettiti, a lu devant la Cour des extraits de son livre : « Laisser partir Vincent est ma dernière preuve d'amour », y écrivait-elle.
Euthanasie déguisée ?
« Il ne voulait surtout pas être un légume, il en parlait de façon assez spontanée », a dit aux journalistes François Lambert, neveu de Vincent. Les parents du tétraplégique, qui récusent tout lien entre leur prise de position et leur foi catholique, dénoncent une « euthanasie déguisée ». Leur fils n'avait pas rédigé de directives anticipées, soulignent-ils. « J'espère que la CEDH va pouvoir arrêter cette folie, Vincent n'est pas en fin de vie, il est handicapé », a dit Viviane Lambert à l'AFP. Leur fils « ne reçoit aucun traitement médicamenteux, il n'est relié à aucune machine », a argué leur avocat, Me Jean Paillot, devant la Cour. « Sa situation de santé est stable, elle pourrait même s'améliorer », a-t-il affirmé. Selon lui, cesser d'alimenter et d'hydrater Vincent Lambert constituerait une violation du « droit à la vie » et un traitement « inhumain ou dégradant ».
1 700 Français concernés
« Au-delà de la situation de Vincent Lambert, c'est la situation d'environ 1 700 personnes en France, qui se trouvent dans le même état de santé (...), qui se joue aujourd'hui », a fait valoir l'avocat. Si les parents de Vincent Lambert n'obtenaient pas gain de cause devant la CEDH, ils envisageraient d'« autres pistes de poursuites » en France, ont dit leurs avocats à l'AFP. L'« affaire Vincent Lambert » a contribué à relancer en France le débat sensible sur la fin de vie. Une discussion sans vote doit avoir lieu sur ce thème le 21 janvier 2015 à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement. Une proposition de loi pourrait suivre à une date non encore précisée. L'euthanasie n'est officiellement légale en Europe que dans trois pays (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg), mais d'autres autorisent ou tolèrent une forme d'aide à la mort, notamment la Suisse, qui a légalisé le suicide assisté.
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