Par Julien Dury
C'est une maladie qui se déclare tôt et peut tuer un enfant en quelques années. L'amyotrophie spinale, qui peut être soignée à condition d'agir très vite, va enfin faire l'objet d'un dépistage génétique dès la naissance dans une partie de la France. "C'est extrêmement important, ce dépistage néonatal, il ne faut vraiment pas hésiter à mettre ça en place le plus vite possible parce qu'on sauve énormément d'enfants", explique à l'AFP Julie Teys, dont le bébé s'est vu diagnostiquer une amyotrophie spinale à sa naissance en 2019 en Belgique.
Des difficultés pour manger et respirer
Cette maladie d'origine génétique frappe une grosse centaine de bébés chaque année en France. Les neurones qui commandent le mouvement se dégradent peu à peu, provoquant un affaiblissement des muscles. Dans sa forme la plus grave -environ la moitié des cas-, cette maladie tue en moins de deux ans l'enfant atteint, vite victime de difficultés à s'alimenter ou à respirer. Oscar, le fils de Mme Teys, y a échappé. Il a aujourd'hui trois ans et demi et mène une vie presque normale. "Il a très peu de symptômes : il marche, il court, il va à l'école ; il n'a pas d'attelle, il n'a pas de chaise roulante, il n'a pas besoin d'aide respiratoire", détaille-t-elle. Si ce "miracle", selon les termes de Mme Teys, a eu lieu, c'est que la mutation génétique d'Oscar a été détectée dès sa naissance, avant les premiers symptômes de la maladie.
Un programme de dépistage expérimental
Or, depuis quelques années, des traitements existent -développés par les laboratoires Biogen, Novartis et Roche-, mais ils sont beaucoup plus efficaces s'ils sont pris avant que la maladie se déclare car la dégradation des neurones est irréversible. Le dépistage à la naissance est donc crucial. Reste que si Mme Teys avait accouché en France, son bébé n'aurait pu en bénéficier ; cette maladie n'y fait pas l'objet d'un repérage généralisé contrairement à de multiples pays, comme la Belgique et l'Allemagne ainsi qu'une grande part des Etats-Unis. A partir de l'automne, les choses vont changer, mais seulement dans deux régions : le Grand-Est et la Nouvelle Aquitaine, qui vont expérimenter pendant deux ans un programme de dépistage. Si celui-ci s'avère une réussite, une extension sera possible à l'échelle de tout le pays.
"Une nouvelle médecine"
Pourquoi un tel retard, alors que la France a été pionnière voici quelques décennies pour dépister de graves maladies à la naissance ? C'est que l'amyotrophie spinale ne peut se dépister que de manière "génétique", en repérant directement une mutation inhabituelle sur le gène concerné. Par contraste, les dépistages actuellement en vigueur chez le nouveau-né, par exemple celui de la drépanocytose, consistent à chercher si le sang du bébé contient des éléments inhabituels, comme certaines protéines, qui sont eux-mêmes une conséquence de la mutation génétique. Or, la législation française a longtemps été particulièrement restrictive en matière de dépistage génétique. Pour autoriser celui-ci, il fallait faire passer les parents par une série d'entretiens approfondis, une procédure irréaliste pour un dépistage généralisé.
Les choses ont changé avec la loi de bioéthique de 2021. Un amendement a considérablement allégé les règles en la matière, ouvrant la voie à l'expérimentation qui va être conduite à l'automne. Il s'agira de "la première étude de dépistage génétique d'une maladie en France (...) c'est quelque chose qui va ouvrir une nouvelle médecine", s'est félicité le 14 juin 2022, lors d'une conférence de presse, Christian Cottet, directeur général de l'Association française contre les myopathies (AFM) qui organise le Téléthon et participe à cette étude.
Débats sur l'eugénisme
Mais pour en arriver là, le parcours n'a pas été simple, notamment face à la réticence de certains responsables politiques lorsqu'il est question de génétique. Lors des débats à l'Assemblée nationale sur la loi de bioéthique, certains députés avaient ainsi parlé d'"eugénisme", tel l'élu de droite Patrick Hetzel. Il avait évoqué le film de science-fiction Bienvenue à Gattaca, qui décrit une société où le patrimoine génétique détermine le parcours social d'un individu. Ces débats sont dignes "d'une autre période", estime Mme Teys, qui s'interroge sur une particularité française en la matière. "Je ne comprends pas aujourd'hui qu'on puisse penser des choses comme ça. Pourquoi attend-on que la souffrance s'installe si on peut éviter ou limiter ça ?", conclut-elle.