30 ans d'obligation d'emploi des personnes handicapées. « Ce gouvernement sera-t-il le premier à faire baisser le chômage des personnes en situation de handicap ? », s'interroge l'APF (Association des paralysés de France) le 6 novembre 2017 à l'occasion d'une conférence de presse dédiée à l'emploi. Une prise de position à quelques jours de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) qui aura lieu du 13 au 19 novembre.
Une longue histoire
Il y a 30 ans, en 1987, le Parlement adoptait une loi sur l'obligation d'emploi des personnes handicapées : la première à imposer une contrepartie financière aux établissements de 20 salariés et plus qui ne respectaient pas un quota de 6% de travailleurs en situation de handicap dans leur effectif salarié. La loi dite « handicap » de 2005 a renforcé cette obligation en l'appliquant au secteur privé et public. Si l'emploi est en hausse, le chômage l'est aussi ! L'APF dit ne pas « accepter » cette situation. Aujourd'hui, le bilan reste préoccupant… Des chiffres pour le prouver.
4 constats majeurs
• Constat n°1 : Le taux d'emploi des personnes en situation de handicap dans le secteur privé atteint péniblement 3,3% ; celui du secteur public fait un peu mieux avec 5,17% mais intègre des modalités de décomptes différents.
• Constat n°2 : Pourtant, le nombre de personnes en situation de handicap en emploi (dans le privé et le public) est aujourd'hui de 938 000 (source enquête emploi 2015 INSEE). Il a été multiplié par deux depuis 2005.
• Constat n°3 : Mais leur taux de chômage atteint 19%, soit le double de celui de l'ensemble de la population. 495 000 sont inscrites à Pôle emploi, un chiffre en hausse de 1,9% par rapport à 2016.
• Constat n°4 : Avec 801 jours de chômage en moyenne (contre 597 jours pour l'ensemble de la population), les personnes en situation de handicap restent confrontées à un mur qui freine leur accès et leur maintien dans l'emploi.
Chômage : objectif de résultat
L'APF s'interroge : « Quelles réponses pour qu'enfin ce mur se brise ? ». Le 20 septembre 2017, à l'occasion du premier CIH (Comité interministériel du handicap), Édouard Philippe déclarait vouloir « réduire l'écart entre le taux de chômage des personnes handicapées et valides ». L'APF fixe un cap précis : moins 50%. Un tel objectif exige des réformes à la fois dans le droit commun (réforme du code du travail, de l'assurance chômage, concertation sur l'apprentissage…) et en matière de droits spécifiques (réflexion sur les deux fonds Fiphfp et Agefiph, fusion des Cap emploi et Sameth…). L'APF se dit « favorable au changement » mais cela ne peut se faire sans la mise en place d'une concertation et la définition d'une méthode partagée qui n'est, semble-t-il, pas à l'ordre du jour…
Des annonces préoccupantes
Plusieurs annonces du gouvernement et notamment la « flexibilisation du marché du travail » ont tout lieu d'inquiéter les associations de personnes handicapées. L'APF redoutent que les nouvelles ordonnances du code du Travail présentées en septembre 2017 n'aient des « conséquences directes pour l'emploi des personnes handicapées déjà particulièrement vulnérables sur le marché du travail ». Elles ne comportent en effet aucune garantie supplémentaire pour ce public spécifique, à l'exception du télétravail, avec même un « accroissement des risques sur la prise en compte de leurs conditions de travail ». Dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage, les « conditions de l'indemnisation et de leur contrôle » préoccupent également l'association « au plus haut point ». Elle assure se montrer « vigilante » lors de la mise en œuvre de la nouvelle offre de service proposée par les Cap emploi à partir du 1er janvier 2018.
Autres motifs d'inquiétudes…
D'autres motifs d'inquiétude : l'urgence à sauver les deux fonds (Fiphfp et Agefiph) dédiés à l'emploi des personnes handicapées d'une agonie prochaine, la baisse des aides aux entreprises adaptées, la suppression de la prime d'activité pour les pensionnés d'invalidité en emploi, la réduction drastique des contrats aidés qualifiée de « coup de massue » car elle affecte « brutalement » les travailleurs en situation de handicap (articles complets en lien ci-dessous). Dans ce contexte, une mission confiée par le gouvernement à Jean-Marc Borello doit faire des recommandations sur l'insertion des personnes les plus éloignées de l'emploi, auxquelles l'APF se montrera particulièrement « attentive ». Sans oublier les aidants qui doivent être pris en compte dans l'ensemble des chantiers inscrits à l'agenda social, via des mesures de formation, de répit, de soutien moral ou d'accès ou de maintien dans l'emploi… Avec de vrais droits !
…et espoirs de réformes
Dans ce paysage assombri, il y a des espoirs aussi, nourris par certaines réformes en cours, comme celle de la formation puisque le gouvernement annonce qu'il va investir 15 milliards d'euros dans ce domaine. Le lancement du Plan d'investissement compétence par le gouvernement représente une « occasion exceptionnelle » selon l'APF de « faire changer massivement la donne ». Mêmes attentes en matière d'apprentissage, une « ambition à investir dans le champ du handicap » qui impose, selon l'association, « des engagements concrets ».
Des idées novatrices
L'APF ne manque pas d'idées et soutient des dispositifs qui ont fait leurs preuves. Parmi eux, un accompagnement sur mesure dédié aux jeunes dans le cadre de ses « plateformes emploi » expérimentées dans plusieurs régions auprès d'une centaine de jeunes par an. Ou encore APF'inity lancée dans l'Hérault, plateforme numérique dont le but est de favoriser le retour à l'emploi. D'autres actions innovantes sont également menées par APF entreprises qui « attaque » un secteur en plein essor, le numérique. Le 20 novembre 2017, à l'occasion de la 5e Nuit de la RSE (au Théâtre de Paris), elle mettra à l'honneur les entreprises qui, partout en France, relèvent le défi de l'inclusion et proposent des leviers novateurs.
Brutalité inappropriée
Dans une conjoncture pourtant alarmante, s'ouvre donc un champ de possibles, à condition que les personnes concernées y soient associées. Or Alain Rochon, président de l'APF, déplore, malgré de « bonne intentions », une « façon d'y aller brutalement farfelue », alors qu'un rapport de l'Igas sur l'emploi des personnes handicapées datant de 2016 avait permis « d'impulser une dynamique positive ». Il reproche au gouvernement, dans sa volonté avide de réformer, de « vouloir jeter le bébé avec l'eau du bain ». Et d'ajouter : « En allant si vite, le remède est parfois pire que le mal ». Et clame : « Rien pour nous sans nous ». Sera-t-il entendu ?