« Une plongée abyssale », c'est ainsi que l'apnéiste Arnaud Jerald perçoit le confinement. Pourtant habitué aux imprévus des fonds marins, ce jeune homme multi-dys ne s'attendait pas à devoir naviguer à vue durant deux mois. « Le 16 mars 2020, il y a l'annonce de la profondeur. Il a fallu s'adapter, s'entraider et écouter. La clé ? Lâcher prise, sans pour autant se laisser happer par les profondeurs. Depuis que j'ai découvert l'apnée, je ne cesse de transposer sur terre ce que j'apprends sous l'eau. » Trois mois après ce « raz-de-marée » provoqué par le Covid-19, le jeune champion revient sur cette traversée en eaux troubles.
S'adapter, dans l'eau comme sur terre
Jusqu'à ce 17ème jour de mars, Arnaud Jerald s'entraînait cinq jours par semaine au Cercle des nageurs à Marseille. « Un programme millimétré », cadré par son préparateur physique, complètement chamboulé. Exit le grand bain, Arnaud doit garder les pieds sur terre ! Alors place aux étirements et autres « training » maison. « Mais jamais trop longtemps quand même... », sourit-il. Il découvre le yoga et se prépare en faisant des squats sans respirer, avant de revenir à son premier amour : la natation. « Je faisais beaucoup de nage avec élastique dans ma piscine pour maintenir ce que j'avais capitalisé avant le confinement », explique-t-il. Le 11 mai, jour du déconfinement, « c'est le moment de regagner la surface », se réjouit-il.
Champion du monde à 23 ans
« Grâce à mes expériences sous l'eau, j'arrive désormais à avoir un ressenti plus pointu de mes émotions et à les canaliser. Ce qui ne m'empêche pas pour autant de les vivre pleinement mais me permet, aussi, de prendre du recul et de m'adapter, explique le sportif. Quand je pars plusieurs mois, comme j'ai pu le faire notamment en Egypte avant de battre le record du monde, je suis déjà en mode confiné, en quelque sorte, uniquement focus sur mes plongées. » En effet, en mai 2019, à seulement 23 ans, Arnauld est sacré champion du monde d'apnée à poids constant bi-palmes, après une descente à 108 mètres en 3 minutes 19 dans les eaux de Charm el-Cheikh. Quelques mois plus tard, il atteint 115 mètres à Villefranche-sur-Mer (Provence-Alpes-Côte d'Azur) en mono-palme. Une belle revanche pour ce jeune « différent »…
Un parcours scolaire à contre-courant
A l'école, il n'est pas vraiment comme un poisson dans l'eau. A cinq ans, le diagnostic tombe : « troubles de l'apprentissage ». Outre une dyslexie, Arnaud souffre de dyspraxie et peine à exécuter les gestes les plus simples comme écrire ou attacher un bouton. Il partage ses études entre une école « classique » et une autre spécialisée où ses troubles sont pris en compte. Mais, durant toutes ces années, il se sent « en décalage » par rapport aux autres enfants et se montre introverti. Et puis, un jour, la révélation, les prémices d'une immense passion… Originaire de Marseille, il découvre le milieu sous-marin à l'âge de 7 ans avec son père, dans les Calanques, et poursuit avec la chasse-marine. Mais il ne côtoie les profondeurs qu'à l'âge de 16 ans, à l'occasion d'une initiation à l'apnée menée par son père, fan, comme toute la famille, du film Le grand bleu. Son destin est tracé...
Entraînement en cachette
Reste encore à convaincre ses parents qui redoutent le danger et considèrent que cette pratique ne lui offre aucune perspective d'avenir. Il s'entête, s'entraîne en cachette, épluche tout ce qu'il trouve sur le web, dévore tous les bouquins sur l'apnée… Jusqu'au jour où il rencontre le double champion du monde de la discipline, Guillaume Néry qui, tout en l'alertant sur les difficultés, l'encourage à poursuivre dans cette voie. En parallèle, il assure ses arrières et passe un Bac pro puis un BTS électrotechnique, enchaînant « des journées de dingue ». A 18 ans, il franchit un cap avec sa première compétition. A 70 mètres, alors que la plupart de ses concurrents « tournent », par manque d'oxygène ou de concentration, lui tient le coup et reçoit des félicitations unanimes. Ce qui le motive, c'est la sensation incomparable que procure l'apnée… Cette « ivresse des profondeurs », un état de narcose où le sang se réfugie dans les organes vitaux, n'alimentant plus les extrémités. Une sensation, selon lui, « hallucinante, féerique ».
Surmonter ses troubles
Outre la satisfaction de battre des records, cette activité lui permet de surmonter ses troubles, et notamment de vaincre sa timidité. Aujourd'hui, il n'hésite plus à prendre la parole en public et réalise des conférences en entreprise. Même si ce n'est pas l'apnée qui a corrigé sa dyslexie mais plutôt des années d'orthophonie, elle a contribué à remodeler son environnement et surtout l'image qu'il avait de lui-même, lui permettant de restaurer sa confiance en lui et d'accepter d'être sous le feu des médias. « Finalement, c'est en faisant de l'apnée que j'ai commencé à respirer », conclut Arnaud.
© Tim McKenna