Au travail, Christophe est particulièrement performant, précis, infaillible même. Mais il n'est pas seul dans l'équipe. Ses mots sont rudes, forts, perturbants, écrasants parfois. Il semble très sûr de lui, trop. L'autorité managériale ? Il n'hésite pas à passer outre. A 50 ans, le verdict tombe : Christophe Morin est neuro-atypique. Il assiste à une conférence sur le syndrome d'Asperger et, là, c'est le déclic : « Je suis un Asperger logico-mathématiques ».
Tout s'explique
Sa réaction ? Un soupir de soulagement. Après une longue période d'incompréhension, c'est la libération pour ce responsable de la mission handicap d'Orange qui s'est exprimé sur son parcours lors d'une matinale « Comment répondre aux nouveaux besoins des entreprises grâce aux talents atypiques ? ». Tout s'explique ! « Lorsqu'enfin vous savez que vous n'avez pas de troubles psychiques ou psychologiques, que vous avez simplement une différence biologique, que votre cerveau n'est pas câblé comme tout le monde, que vous avez une déficience neurologique entre la zone limbique et la zone préfrontale de votre cerveau, et que c'est la raison pour laquelle vous n'êtes pas foutu d'identifier correctement vos émotions, vous commencez à comprendre... Comprendre que vous hyper-fonctionnez sur le plan logique et rationnel». Le diagnostic permet l'acceptation. Acceptation de soi, de ses particularités, mais aussi des autres.
Relationnel compliqué
La logique, la complexité, les Asperger adorent ça. Ils sont intuitifs, rapides mais l'adaptation n'est pas leur faculté première. Dans leurs rapports avec les autres, ça se complique... Des attitudes que les collègues de Christophe ont du mal à tolérer. Certains entrent dans la confrontation ; « C'est surtout le relationnel qui pose problème, acquiesce Guy Duclos, son manager, et, parfois, l'équipe en souffre... Le manager et la hiérarchie perçoivent un ego surdimensionné mais c'est une mauvaise lecture. » Christophe rebondit : « Quand un Aspi rétablit de la justesse, il est souvent vu comme un donneur de leçon, avec un gros ego mais, en réalité, tout ce qu'il souhaite c'est rectifier une fausse information. ». Et ce n'est pas ses RH (ressources humaines) qui diront le contraire. Lors de son embauche, il a refusé de signer son contrat tant qu'il n'était pas correct. La raison ? L'intitulé de son poste était, selon lui, inexact. « On m'embauchait pour être 'responsable mission handicap' donc je m'attendais à lire ça sur le contrat. Si ce n'est pas écrit noir sur blanc, je ne signe pas ! », prévient l'intéressé. Une anecdote qui illustre également le besoin de précision des Asperger.
Une connexion rétablie
Une fois le diagnostic établi, ses collègues changent d'attitude. Ils acceptent ses réactions, font preuve de patiente, d'indulgence. « Arriver à les faire fonctionner, ensemble, voilà un défi de taille. Il faut que les autres membres de l'équipe acceptent les particularités de chacun. Le diagnostic permet une lecture différente : laisser de côté les modèles habituels et poser un autre regard, témoigne son manager. Je suis convaincu que, dans un groupe, l'épanouissement individuel est la première brique qui doit être posée pour permettre la performance et l'épanouissement collectif. » La connaissance de l'autre et de ses différences, voilà le secret d'une collaboration réussie entre un employé et son responsable. « Christophe était très anxieux et, avant, j'avais du mal à saisir pourquoi. En tant que manager, c'est important de prendre conscience que l'intensité du stress de la personne avec laquelle vous travaillez n'est pas forcément égale à ce que vous pensez. Cela implique une grande vigilance pour lui permettre de réussir son parcours professionnel », assure-t-il. Pour Christophe, le succès de l'intégration d'un profil atypique réside en deux points complémentaires : un management bienveillant mais aussi informé. « Il faut sensibiliser sur ce qu'est l'atypie. J'ai 50 ans et je travaille, donc c'est possible de le faire avec une RQTH ».
Une double prise en charge
Le diagnostic est essentiel pour bénéficier d'une prise en charge, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Christophe a opté pour un accompagnement basé sur les neurosciences. Le principe : rétablir les connexions neuronales, rééduquer le cerveau là où il est déficient, dans le domaine des émotions par exemple. « C'est hyper important dans le monde du travail, notamment pour travailler en équipe et écouter son management, rebondit Christophe. Une structure comme Orange, vous ne la ferez pas changer donc il faut s'adapter, et ça ce n'est pas évident pour un Asperger mais c'est faisable via l'accompagnement. » La majeure partie du temps, le diagnostic permet également d'obtenir la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Le travailleur peut ainsi avoir un profil plus attractif pour les entreprises qui doivent respecter l'obligation d'emploi.
L'accompagnement : un besoin universel ?
Pour autant, toutes les personnes neuro-atypiques doivent-elles être accompagnées de la sorte ? « Je pense que non, répond Christophe Morin. Dans le cadre d'un syndrome Asperger qui est vécu depuis 50 ans avec beaucoup d'anxiété, c'est pas mal, mais une personne HPI (ndlr : à haut potentiel intellectuel) avec peu de difficultés n'aura pas de RQTH. » En somme, l'accompagnement dépend des difficultés rencontrées. En revanche, toutes les personnes handicapées doivent pouvoir se sentir soutenues. « J'ai vécu une bonne partie de ma vie sans le savoir. Si on n'est pas informé des particularités du syndrome, on peut ne jamais être diagnostiqué. » Une question lui vient alors : « Sans informer, dans l'entreprise, sur les particularités du syndrome, comment les salariés qui sont HPI ou Asperger peuvent-ils se connaître vraiment ? Eh bien, ils ne peuvent pas... Moi, j'ai eu de la chance ! ». Pour ne plus laisser de place au hasard, Orange a décidé de lancer un programme de sensibilisation à l'atypie dans son entreprise. « De nombreuses personnes doivent vivre des situations d'anxiété importante. Il serait bon qu'elles soient diagnostiquées dans un premier temps, puis accompagnées si elles le souhaitent », explique-t-il.
Les atypiques crèvent l'écran
Pour sortir du lot et traverser les époques, les entreprises doivent sans cesse se remettre en question. Renouveler sa communication, sa culture... et pourquoi pas ses employés ? Dans un marché toujours plus concurrentiel, le recours aux talents atypiques ne serait-il pas la solution pour se démarquer ? Entre réalité et fiction, il n'y a qu'un pas. TF1 met un jeune chirurgien autiste à l'honneur, dans la série Good doctor. Au-delà des personnes avec autisme, les hypersensibles, ou celles ayant des troubles « dys » sont également considérées comme « atypiques ». Leur capacité à « sortir du moule » peut répondre aux nouveaux défis des entreprises. Reste à en prendre conscience...