« On a souvent honte de ressentir du désir ». Les mots d'Alexandre, jeune homme en situation de handicap, résonnent dans la salle Laroque du ministère des Solidarités et de la Santé, le 6 février 2023. Face à lui, des membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), réunis à l'occasion d'un débat public sur le thème « Quelle vie intime, affective et sexuelle pour les personnes handicapées ? ». « La sphère politique doit se saisir de ce sujet vital », poursuit Alexandre. Or, aujourd'hui, « tout le monde se renvoie la balle sur ce sujet qui est toujours présenté comme un problème, alors que ça ne devrait pas. On laisse ces personnes, qui ont le sentiment d'être transparentes, face à un vide », déplore Fabrice Zurita, directeur du Centre ressource IntimAgir Normandie.
Un débat relancé par Sophie Cluzel
En 2020, Sophie Cluzel, alors secrétaire d'Etat au Handicap, avait saisi le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) au sujet des assistants -d'autres préfèrent le terme d'accompagnants- sexuels (Lire : Handicap : Cluzel favorable à des assistants de vie sexuelle ). En réponse, le CCNE avait réitéré son attachement au cadre légal actuel relatif à la prostitution et aux principes éthiques qui en découlent. Sophie Cluzel n'avait pas « lâché l'affaire » et demandé la mise en place d'ateliers participatifs pour prendre en considération la parole des personnes concernées, des proches et des professionnels. Trois ans plus tard, le CNCPH rend ses conclusions lors de cette journée-débat. Après avoir exploré la vie affective et sexuelle des personnes handicapées dans ses grandes largeurs, il fait treize propositions (qui seront publiées prochainement sur son site) issues des observations de terrain, dont une est spécifiquement consacrée à cette question, celle qui cristallise le plus d'attentes.
Vers une expérimentation de l'assistance sexuelle ?
Comment évalue-t-on une demande ? Comment inclut-on les proches dans cette démarche ? Qui délivre ces prestations ? Le CNCPH a compilé un maximum de réponses dans son rapport. Il propose, notamment, une expérimentation sur deux ans, dans au moins deux régions. Mais il faut surtout lever les obstacles juridiques afin d'éviter le risque -certes théorique- que les établissements ou proches aidants puissent être poursuivis pour proxénétisme, et que les personnes handicapées elles-mêmes le soient en tant que clients de la prostitution. Il suggère donc de considérer l'assistance sexuelle comme « un droit d'accès à un meilleur état de santé sexuelle, affective et intime », à titre dérogatoire « pour que le bénéficiaire du service, le gestionnaire, les professionnels et l'assistant sexuel bénéficient de la protection mentionnée à l'article 122-4 du code pénal ». Les assistants derniers seront « recrutés en fonction de leurs qualités et compétences relationnelles, verbales et non verbales, puis formés ». Ils devront « bénéficier d'un statut et d'une professionnalisation ». Leur activité serait financée par la Sécu ou par la prestation compensatoire du handicap (PCH). Le CNCPH prévoit qu'un « code de déontologie national soit rédigé pour encadrer les pratiques », qui seront ensuite évaluées par un comité d'éthique. Cette expérimentation pourrait s'intégrer dans les discussions de la loi de financement de la sécurité sociale 2024. « Bien que modeste, c'est une opportunité politique majeure », a réagi l'association CH(s)OSE qui milite en faveur d'un accès effectif à la vie affective et sexuelle des personnes handicapées.
Des détracteurs, aussi !
Le sujet suscite néanmoins des craintes. Une militante CGT a ainsi fait part de son inquiétude quant à la « marchandisation du corps des femmes » puisque les demandeurs sont majoritairement des hommes. Et une responsable de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a dit redouter que la légalisation des assistants sexuels puisse « mettre en danger » les auxiliaires de vie, qui ne pourraient plus être protégées contre le harcèlement sexuel, par exemple lorsque la personne handicapée dont elles s'occupent « leur demande d'être masturbée ».
Répondre à une détresse
Au contraire, a observé le psychologue Alain Joret, qui participe à la formation des assistants sexuels en Belgique, l'intervention d'un « assistant dévolu à la sexualité permet de soulager les aides-soignants de ce type de risques ». « La sollicitation des assistants sexuels, ça existe déjà, mais dans un flou juridique », poursuit Fabrice Zurita. Et certains se tournent aussi vers la prostitution, faute d'assistants formés en nombre suffisant. Pour Fabrice Flageul, porte-parole de l'Association pour la promotion de l'assistance sexuelle (Appas), qui se définit comme thérapeute sexuel, il est donc urgent « d'arrêter l'hypocrisie » et de répondre à une « détresse » par une « démarche positive, bénéfique, qui permet à des êtres humains de se sentir un peu plus humains ».
Garantir l'intimité dans les lieux de vie
Plus largement, la problématique de l'intimité dans les lieux de vie, au domicile, dans les établissements et services médico-sociaux et dans les habitats inclusifs était au cœur des débats du 6 février. « La conception du bâti est à revoir », signale Agnès Bourdon-Busin, membre du Comité parentalité des personnes en situation de handicap. « Pourquoi se contenter d'espaces PMR aussi réduits, en moyenne 24m2 et parfois moins, quand, dans le droit commun, un citoyen lambda en recherche de logement trouve quasi systématiquement un T2 ? », s'insurge Marylène Fournier, directrice d'une maison d'accueil spécialisée (MAS). Adaptation du mobilier pour agencer l'espace personnel à la demande et selon les attentes de la personne accompagnée, comme l'installation d'un lit double dès l'adolescence, accès à des matériels adaptés, espaces et lieux de stockage à l'abri des regards si cela est souhaité (sextoys, handilovers…), accès à internet de façon autonome et individuelle (…) doivent être intégrés de façon systématique dans les lieux de vie, selon le CNCPH qui envisage, comme levier de changement, la modification du Code de l'action sociale et des familles. La notion de « modularité de l'espace » est aussi évoquée pour « créer des espaces plus adaptés à la parentalité et à la vie de couple », notamment des zones séparées entre la chambre à coucher, la salle de bains et la pièce à vivre.
Revoir les règles de vie en collectivité
La garantie des droits et des libertés des personnes en situation de handicap en matière de vie sexuelle passe aussi par une meilleure flexibilité des règles de vie en collectivité, avec notamment la possibilité d'aller et venir ou de recevoir des invités sans entrave, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, de bénéficier d'un accès aux transports accessibles 24 heures sur 24 et d'une localisation des logements permettant une vie sociale… Le volet formation des professionnels de l'accompagnement n'a pas été écarté. Le CNCPH plaide notamment pour une « pérennisation » des centres ressources IntimAgir, dédiés à la sensibilisation des personnes concernées, leurs proches et personnels sur les questions liées à l'intimité et à la vie affective . Chaque professionnel devrait recevoir une formation, au moins initiale, si ce n'est, spécifique et plus longue (sur la base du volontariat pour l'accompagnement à la pratique sexuelle).
Plus de moyens pour l'accès à la santé sexuelle
Enfin, et toujours dans une logique « d'aller-vers », le CNCPH met l'accent sur les soins en santé sexuelle, insistant sur la nécessité d'inclure un temps dédié à cet accompagnement dans les consultations des sexologues, urologues, gynécologues. Dernier exemple en date, le dispositif Handigynéco, qui vise à amener les soins gynécologiques jusqu'aux femmes en situation de handicap, et dont le CNCPH réclame la pérennisation. Pour ce faire, il mise sur la renégociation avec l'Assurance maladie pour « valoriser les tarifs des consultations et prendre en compte les problématiques d'accessibilité ». Et maintenant ? Rien n'est encore acté d'un point de vue législatif mais ces propositions ont le mérite de réinscrire à l'ordre du jour un débat bien trop tabou...