San Francisco, Etats-Unis, au beau milieu des « seventies ». Grégory Frazier, jeune professeur d'université, entend l'épouse de son meilleur ami non-voyant lui décrire ce qu'il ne peut pas voir à la télévision. Lui vient alors une idée de génie... Il élabore une technique qui permet la description de l'image projetée à l'écran grâce à une voix « off » intervenant entre les répliques d'un film ou d'une pièce de théâtre... Bref, une voix qui murmure à l'oreille des aveugles.
Mai 1989 : l'audiodescription débarque en France
Son concept, appelé de prime abord « AudioVision », ne rencontre pas le succès escompté, le monde du spectacle fait la sourde oreille... Jusqu'à ce que le Professeur Frazier rencontre le nouveau doyen de l'Université de San Francisco, qui n'est autre qu'August Coppola, frère du célèbre réalisateur. Emballé, ce visionnaire facilite le développement de ce procédé sur petit et grand écran. Eureka, l'audiodescription est née ! En 1988, sort le premier film audiodécrit : Tucker, un biopic sur le constructeur automobile américain du même nom, réalisé par... Francis Ford Coppola ! Un an plus tard, trois « frenchies » s'envolent pour l'Université de San Francisco où ils sont formés aux techniques de l'audiodescription. A leur retour en France, August Coppola accorde à l'association Valentin Haüy (AVH), qui défend l'intérêt des personnes déficientes visuelles, l'exclusivité du développement du projet AudioVision. En mai 1989, le procédé est présenté pour la première fois dans l'Hexagone lors du Festival de Cannes. La machine est lancée... L'audiodescription se développe ensuite principalement lorsque les premières salles de cinéma commencent à s'équiper.
Un guide pour une audiodescription de qualité
Vingt ans plus tard, l'enjeu est de répondre à la demande de formation et de qualification. Si une poignée de formations sont proposées, bien souvent les laboratoires de post-production se contentent de faire du « recyclage ». Concrètement, ils sollicitent des salariés internes qui assurent habituellement le doublage ou la traduction. Aujourd'hui, l'audiodescription semble être entrée dans les mœurs mais une nouvelle étape doit être franchie pour assurer une production de qualité et faire d'un film audiodécrit une œuvre à part entière. C'est l'ambition du Guide de l'audiodescription (article complet et lien ci-dessous), publié en décembre 2020 sous l'égide du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et élaboré par des auteurs d'audiodescription, des personnes déficientes visuelles et des associations telles que la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPSAA). « Si, quantitativement, on progresse, la qualité n'est pas toujours acquise », observe Francis Perez, son vice-président, en charge de la Commission audiovisuelle... Interview.
6 questions à Francis Perez
Handicap.fr : Quelles sont les qualités majeures d'un auteur d'audiodescription ?
Francis Perez : Une bonne maîtrise de la langue française, un bon niveau culturel et de connaissances du cinéma. Il faut ensuite, dans une certaine mesure, savoir apprécier le style du réalisateur et le transmettre par les mots. Il ne s'agit pas d'une description plate mais d'un vrai travail d'auteur avec une interprétation de qualité, alors même que les contraintes sont extrêmement fortes, la principale étant les délais restreints.
H.fr : A qui s'adresse ce tout nouveau Guide ?
FP : Tout d'abord aux laboratoires et aux collaborateurs de post-production mais aussi aux réalisateurs et, de manière générale, aux clients, comme les directeurs de chaîne de télévision. La publication sous l'égide du CSA donne, forcément, plus d'ampleur, avec un vrai travail de sensibilisation des chaînes et des différents acteurs. Les producteurs et plateformes américaines ont intégré d'emblée la dimension de l'audiodescription pour un très grand nombre de films. La France doit suivre le mouvement...
H.fr : Comment faire mieux ?
FP : D'abord avoir recours à un relecteur parfaitement formé, lui-même déficient visuel, ce qui n'est pas systématique, loin de là. Par ailleurs, depuis plusieurs années, le Centre national du cinéma (CNC) offre un soutien financier, environ 300 000 euros par an, à la réalisation de l'audiodescription. Mais la nouveauté, c'est que, depuis le 1er janvier 2020, il n'accorde son agrément qu'aux films français qui ont respecté les règles d'accessibilité, notamment en matière d'audiodescription mais aussi de sous-titrage. Cet agrément leur ouvre la porte à des soutiens financiers. Dans un cadre plus général, des dispositions réglementaires prises à partir des directives européennes sur l'accessibilité des services des médias audiovisuels (SMA) sont actuellement en cours d'application et rappellent la nécessité d'augmenter la « qualité ». Ce terme revient très explicitement à maintes reprises.
H.fr : En France, une majorité de films sont-ils audiodécrits ?
FP : Une majorité, oui. Depuis trois ans, le prix Marius récompense d'ailleurs la meilleure audiodescription (article en lien ci-dessous). Nous sommes actuellement en train de préparer la quatrième cérémonie, qui se déroulera courant mars 2021, exclusivement en distanciel, pandémie oblige. Curieusement, l'audiodescription trouve son intérêt là où on ne l'attend pas ; aux Etats-Unis, les routes sont droites et longues, et de nombreux conducteurs en profitent pour se passer des films audiodécrits.
H.fr : Quelle est la part des salles de cinéma accessibles en France ?
FP : Je ne sais pas mais bon nombre d'entre elles n'ont pas le matériel adapté. Principaux obstacles ? Le manque d'informations et de connaissances des techniciens... C'est une affaire au long cours mais qui avance. Outre le casque, un projet est en cours pour avoir accès à l'audiodescription via son smartphone avec une synchronisation de la projection à l'écran. Pour l'heure, seule une dizaine de films sont disponibles via ce système mais la voie est ouverte...
H.fr : Un autre projet technologique en cours ?
FP : Finalisé même ! Jusqu'alors, lorsqu'une famille ou un groupe, composé d'une seule personne mal ou non-voyante, se réunissait devant la télé, il n'existait aucune solution qui puisse contenter tout le monde. Ils devaient tous regarder le film avec l'audiodescription, ce qui avait le don d'en agacer certains. Il est désormais possible, sur certains téléviseurs, d'avoir accès à une piste spécifique qui permet uniquement à la personne qui en a besoin d'entendre l'audiodescription dans son casque.