Autisme : grandir avec "un frère hors normes"

La photographe Lucie Hodiesne-Darras, 29 ans, documente le quotidien de son frère, Antoine, autiste. Ce travail met aussi en lumière la richesse d'un dialogue au-delà des mots. Elle raconte.

• Par
Lucie prend son frère Antoine dans les bras.

Entre Antoine, surnommé « Lilou », et Lucie, il y sept ans d'écart. « Étant née bien après, je ne l'ai pas considéré comme une personne en situation de handicap, insiste Lucie Hodiesne-Darras, 29 ans. Il était mon frère évoluant avec ses différences dans son monde de silence. »

Un pilier, une jeune aidante

De fait, Antoine ne parle pas. Autour de lui, la famille est soudée, s'appliquant à respecter les singularités de chacun de ses membres et à tourner les moments les plus difficiles en dérision. « Nous étions une sorte de Famille Addams », ironise cette jeune photographe. Très vite, Lucie devient « la grande sœur » et le pilier de son frère. Dès l'âge de 4 ans, elle apprend à aider Antoine à s'habiller, à manger... Ainsi, aux côtés de ses parents, elle entre dans une dynamique d'aidance quotidienne. Un rôle qui se complique à l'adolescence, lorsqu'Antoine voit son hypersensibilité s'exacerber et se manifester par des crises parfois très violentes.

Les premières hostilités face à la différence

C'est dans le regard des autres enfants qu'elle ressent, pour la première fois, l'hostilité face à la différence. « Dès le CP, j'ai été confrontée à la violence des propos et des réflexions sur mon frère. J'essayais de le protéger et de le défendre sans parvenir à me faire entendre. » Lucie va mal. Alors, elle s'isole. Heureusement, il y a Jean-Jacques Legros, un instituteur qui perçoit le mal-être de la petite fille et l'oriente vers des activités artistiques. « Cinéma, peinture, dessin... L'art était une manière d'échapper à la réalité. Mais je devais aussi tenir cette fibre artistique de mon père passionné de photos. À la maison, j'ai grandi entourée de collections de vieux appareils argentiques et de livres sur l'art photographique. » Au collège, elle tente d'expliquer l'autisme à certains de ses camarades avec ses mots d'adolescente, mais n'est pas davantage comprise. Stéréotypies, hyper ou hypo-sensorialité... Des termes que Lucie ne maîtrisera que plus tard lorsqu'elle compulsera livres et ouvrages scientifiques pour mieux appréhender les particularités d'Antoine.

La photo, « bon médium pour saisir les subtilités de l'être »

Un livre, une exposition qui parcourt le monde, de nombreux prix... D'emblée, le projet séduit Antoine. « Sa manière de dire oui est très simple : il caresse notre paume de main avec la sienne. » Au fil du temps, le modèle impose même ses choix artistiques. Ainsi, lors d'une promenade en ville, sa silhouette en forme d'ombre portée sur un mur a soudain retenu toute son attention. Il s'est arrêté et a regardé, grand sourire aux lèvres, l'appareil photo de sa sœur. « Je trouve que la photo est un bon médium pour saisir toutes les subtilités d'un être humain, confie la photographe. Elle permet de cristalliser les émotions et la sensibilité d'Antoine avec, peut-être, plus de justesse encore que le langage verbal pouvant être source de malentendus, voire de manipulation. Et l'on apprend à développer son sens de l'observation pour dialoguer autrement. » Avec ses photos en noir et blanc très contrastées, l'artiste souhaite rendre hommage à son frère, au-delà du handicap, mais aussi briser les clichés encore trop répandus sur l'autisme, et dire, après des années de frustration et de silence face à l'incompréhension des gens, qui est réellement Antoine.

Antoine, jour après jour

« Mon frère, c'est la joie de vivre dans la sincérité et la simplicité. Il apprécie les bons repas -surtout la viande rouge et les frites-, les longues promenades en pleine campagne, la compagnie des animaux, qui ne trichent jamais, comme les chiens et les chevaux. Il est d'ailleurs bien meilleur cavalier que moi ! » Aujourd'hui, Antoine vit au foyer Teranga, à Verson, en Normandie. Installée à Caen, Lucie poursuit son travail photographique, sur le handicap notamment. La fratrie retrouve régulièrement ses parents dans la maison familiale à Villers-sur-Mer. « Après quelques jours en famille, Antoine montre toujours une grande satisfaction à rentrer au foyer, précise Lucie. Il bénéficie au sein de cette structure d'un accompagnement professionnel, qui lui a permis de beaucoup évoluer, et que nous n'étions pas à même de lui apporter malgré tout notre amour et notre soutien. »

Une autre manière d'être au monde

Tandis que nombre de personnes tendent à évoquer encore de manière réductrice une « forme d'absence » des personnes avec des troubles du spectre de l'autisme, Lucie, elle,  préfère parler de la capacité sensorielle très développée de son frère et de sa forte connexion à tous les éléments naturels qui l'entourent. Comme si, bien avant la vogue actuelle de la pratique japonaise du shinrin-yoku, ou bain de forêt, Antoine avait compris l'importance du lâcher-prise, qu'il cultive en malaxant la terre, en caressant les cailloux ou en écoutant le bruit des clapotis de l'eau qui ruisselle sur sa peau. Et, pied de nez aux idées préconçues sur sa différence, Antoine aime aussi les sensations fortes. À commencer par des virées à Disneyland pour des loopings endiablés sur les montagnes russes ! « Comme l'héroïne de Luc Besson dans Le Cinquième élément, il est quelqu'un d'exceptionnel vivant dans un univers différent du nôtre », pointe Lucie.

Une relation fusionnelle

Certes, frère et sœur ont mené des vies parallèles. « J'avais souvent le sentiment d'être une enfant unique tant nos besoins étaient différents. Mes parents m'incitaient à aller à des concerts, à faire des voyages, des activités que mon frère aurait pu difficilement supporter. Mais je revenais toujours très vite vers lui. Il est mon centre de gravité, il fait partie de moi et je pense faire partie de lui. » Quand Antoine était à l'Institut médico-éducatif (IME) de Pont-L'évêque, puis en foyer médicalisé, Lucie était à l'école, au collège, au lycée, à l'Université... Et, enfin, à l'école des Gobelins, à Paris, pour se consacrer pleinement à son art. C'est là, en 2017, que son projet photo autour d'Antoine est né, comme une évidence, lorsqu'il a été demandé à tous les étudiants de première année d'écrire une histoire en 36 images. Quelle autre histoire sinon celle de ces deux êtres à la fois si différents et si proches ?

© Thierry Hodiesne

Partager sur :
  • LinkedIn
  • Facebook
  • Blue sky
  • Twitter
Commentaires0 Réagissez à cet article

Thèmes :

Rappel :

  • Merci de bien vouloir éviter les messages diffamatoires, insultants, tendancieux...
  • Pour les questions personnelles générales, prenez contact avec nos assistants
  • Avant d'être affiché, votre message devra être validé via un mail que vous recevrez.