Grandir avec un frère ou une sœur différents ? Si les témoignages sur le parcours de ceux qui vivent avec un enfant handicapé sont de plus en plus abondants, on ne peut pas en dire autant sur celui des fratries « valides ». Une zone d'ombre peu explorée, non seulement par la littérature mais également par les associations, le milieu médical, l'éducation… Par les familles elles-mêmes qui, toutes entières dévolues à celui qui réclame tant d'attention, de temps et de soutien, finissent parfois par négliger ceux qui « vont bien ». Jusqu'au jour où l'on se rend compte qu'ils peuvent aussi devenir des « victimes collatérales ». Deux livres récemment publiés explorent cette face cachée de la relation fraternelle.
Sortir de l'ombre, par Muriel Scibilia
Dans son ouvrage, Sortir de l'ombre les frères et sœurs d'enfants gravement malades (264 pages, 22 euros, éditions Slatkine), Muriel Scibilia alerte sur les souffrances invisibles que la maladie grave ou le handicap peuvent provoquer dans les fratries. Des centaines de milliers de jeunes en France et des millions en Europe seraient ainsi « éclipsés », peinant à suivre le cours « normal » de leur vie. Quand surgit une maladie grave, tout s'exacerbe. Il devient difficile, voire impossible, de verbaliser ses besoins, ses inquiétudes, ses colères, ses sentiments... Muriel a recueilli la parole de douze d'entre eux, principalement concernés par le cancer de leur frère ou sœur. Un exercice intime qui fut pour certains extrêmement salutaire. « Ils sont tous traversés par des émotions et sentiments d'autant plus violents qu'ignorés ou négligés par des adultes arc-boutés autour d'un indispensable combat pour la vie », explique cette auteure, également journaliste et professeur de lettres, qui se consacre désormais à la collecte et la rédaction d'histoires vraies.
De profondes souffrances
« Mes parents faisaient tout ce qui était possible pour sauver ma sœur, et je croyais qu'ils m'abandonnaient », se souvient par exemple Jérôme. « Si nombre de jeunes semblent aller bien, en réalité tous sont dans de profondes souffrances... », poursuit Muriel Scibilia. De la solitude et beaucoup de tristesse. Ils se refusent souvent à en parler car leurs blessures peuvent sembler dérisoires face à ce que traverse le jeune malade. « Pendant des années, j'ai essayé de comprendre pourquoi, alors que tout semblait rentrer dans l'ordre depuis la rémission de ma fille, mon fils semblait perdre pied », témoigne une maman. Au-delà des témoignages, ce livre émouvant, troublant, drôle parfois et surtout sans reproche offre également des clés aux familles et aux proches ainsi qu'aux professionnels de santé et du domaine social à travers des « éclairages » d'experts. « Ces récits montrent à quel point le soutien de l'entourage au sens large est essentiel pour permettre aux fratries d'être résilientes », conclut l'auteure.
Anne-Laure, la Sœur sans bruit
Autre famille, autre histoire. Anne-Laure Chanel est, elle, une Sœur sans bruit. Dans cet ouvrage, paru en février 2021 aux éditions La Brune (272 pages, 21,8 euros), cette réalisatrice à France culture raconte comment elle a grandi avec ce « frère différent ». Le pitch... Léon et Paulin sont nés à six mois et demi. Dans leur hâte à voir le jour, un accident s'est produit. Paulin, le second, a fait une hémorragie cérébrale. Il est polyhandicapé, associant déficit mental et infirmité motrice cérébrale. Lorsque l'on vit vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec l'enfant handicapé qui deviendra adulte, quel est l'espace de chacun des membres de la famille ? Anne-Laure, la sœur aînée, celle qui, adolescente, poussait des cris inaudibles, interroge sa propre place dans cette histoire. Ce récit familial, comme on partage un secret, est celui de l'affection et de la charge, des sentiments et des ressentiments. Il s'achève par ces mots : « Oui, oui, je mérite qu'on me consacre du temps et de l'attention. ».