Par Antoine Agasse
Le cas de Rachel D., privée depuis six mois de ses trois enfants autistes sur décision de justice, mobilise le milieu associatif qui y voit un cas emblématique «de placement abusif» d'enfants dû à une méconnaissance de ce handicap. La cour d'appel de Grenoble doit décider le 26 février 2016 de prolonger ou non le placement, séparément, des trois enfants de 4, 6 et 9 ans, en famille d'accueil et en pouponnière depuis le mois d'août. Rachel «est morte de trouille», affirme Danièle Langloys, présidente de l'association Autisme France. Depuis le mois d'août, cette mère célibataire de Saint-Marcellin (Isère) ne voit plus ses enfants qu'une demi-heure tous les 15 jours.
Simuler un trouble du développement ?
Une pédopsychiatre, mandatée dans le cadre d'une expertise judiciaire, «a nié l'autisme de ses enfants en disant que c'était la mère qui provoquait leurs symptômes», explique Me Sophie Janois, avocate parisienne spécialisée dans ce genre d'affaires. «Comme si on pouvait simuler un trouble du développement ! Il faut être d'une incompétence crasse pour raisonner comme ça», s'énerve Danièle Langloys. Le juge des enfants a suivi l'avis de l'experte, estimant que Rachel créait «une représentation invalidante et alarmiste de ses enfants sans aucun fondement médical, ce qui leur est préjudiciable», selon un extrait du jugement de première instance cité par Me Janois, qui dénonce une «erreur judiciaire».
Le justice ordonne leur placement
Depuis leur placement, les trois enfants ont été diagnostiqués autistes par l'équipe du Dr Sonié, médecin coordinateur du Centre de Ressources Autisme Rhône-Alpes, selon les associations. Le 22 janvier, lors de l'audience d'appel à Grenoble, le ministère public a pourtant demandé le maintien du placement et de la séparation de la fratrie. Le cas de Rachel, qui est Asperger (une forme d'autisme), est en outre compliqué par le fait que son ex-conjoint réclame lui aussi le placement des enfants. «Pour emmerder son ex...», dénonce Danièle Langloys. «L'affaire est plus compliquée que ça», nuance une source proche du dossier. «Rachel est tout à fait apte à s'occuper de ses enfants. Au pire, elle avait besoin d'une aide mais pas qu'on les lui retire», estime Me Janois.
Un cas de ce genre par semaine
«C'est un scandale très représentatif de ce que peuvent vivre les parents d'enfants autistes», poursuit l'avocate, qui dit défendre un cas de ce genre par semaine. «Ce sont souvent des mamans seules, vivant avec le RSA, qui trinquent», précise Mme Langloys. «Mais en vingt ans, je n'avais jamais vu une telle cruauté mentale à l'égard d'une femme. On s'acharne sur une maman exemplaire.» Près de deux cents associations soutiennent le combat «emblématique» de Rachel. Et le 25 janvier, devant le congrès d'Autisme France, la secrétaire d'État aux personnes handicapées Ségolène Neuville s'est elle aussi dite «totalement mobilisée pour que cette maman puisse le plus rapidement possible retrouver ses trois enfants».
Une vision préhistorique
Au cœur du problème, les associations dénoncent les «dysfonctionnements» de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et une «vision préhistorique de l'autisme» basée sur une approche psychanalytique. «Dans une logique psychanalytique, l'autisme n'existe pas. C'est un dysfonctionnement du lien mère-enfant. Seule la mère peut être coupable», décrit Danièle Langloys. En 2012, la Haute Autorité de Santé (HAS) a pourtant estimé que cette approche «non consensuelle» n'avait pas fait la preuve de sa pertinence. Dans un rapport de novembre 2015, le Défenseur des droits a aussi préconisé une meilleure formation des professionnels (travailleurs sociaux, juges, enseignants, etc.) sur les troubles autistiques. Le Défenseur des droits a en effet été saisi du cas d'un nourrisson placé en famille d'accueil pendant six ans, avant qu'un autisme sévère soit reconnu. Une autre famille avait cherché de l'aide auprès d'un hôpital de jour car leur enfant autiste refusait de se laver depuis plusieurs jours. Les médecins ont diagnostiqué une «dépression liée à une relation fusionnelle à la mère» et ont fait un signalement aux services de protection de l'enfance. Contacté par l'AFP, le département de l'Isère, dont dépend l'ASE, a indiqué ne pas souhaiter commenter un dossier «complexe et sensible».
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