160 km/h à l'aveugle sur un circuit de Formule 1 : et vous?

Piloter à l'aveugle sur un circuit de Formule 1, c'est le défi proposé par l'association NVDM une dizaine de fois par an. En mars 2024, des pilotes non-voyants tentent cette expérience insolite à Spa, en Belgique. Sensations fortes ouvertes à tous.

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Les fous du volant posant devant leur voiture à Spa.

120, 140, 160 km/h. La Renault Mégane RS de 280 CV file à plein gaz sur la ligne droite du circuit de Formule 1 de Spa-Francorchamps, en Belgique. La neige mouille encore la piste et des grappes de brouillard s'agrippent aux branches des pins.

Une confiance... aveugle

« Droite, gauche, gauche 5, axe, droite 10, droite 5, axe. » A l'approche de la chicane, Yannick débite ses consignes. Au volant, Philippe obéit méthodiquement à son co-pilote, lui accordant une confiance... aveugle ! Car Philippe n'y voit rien. De son nom Jeanjean, il est, depuis 2021, le président de ces « fous du volant » réunis au sein de l'association les Non-voyants et leurs drôles de machines (NVDM pour les intimes), basée dans la Drôme. Des hommes, majoritairement, mais de plus en plus de femmes, qui représentent aujourd'hui un tiers des 36 membres. Moyenne d'âge ? 55 ans. Ce jour-là, ils sont neuf à vouloir éprouver l'ivresse de la vitesse sur ce circuit mythique qui a sacré les plus grands. Ils seront de retour à Spa le 13 mars 2024, pour la 12e fois. Et le lendemain sur le circuit de Mettet, entre Namur et Charleroi.

Sur un circuit de Formule 1

En 2011, Pierre Alain Thibault, directeur du site, reçoit un drôle d'appel ; un type aveugle lui suggère d'ouvrir ses pistes à des pilotes non-voyants. Il croit d'abord à une blague belge, avant de se laisser convaincre par Luc Costermans ; l'homme a perdu brutalement la vue mais n'a pas froid aux yeux puisqu'il détient un record de vitesse à 308,780 km/h à bord d'une Lamborghini Gallardo, en 2008. Depuis, Pierre-Alain a quitté ses fonctions mais Spa leur est resté fidèle. L'ambiance est à la fête, le soleil a fini par se lever. Trois voitures équipées en double pédalier sont sur la ligne de départ. Les candidats francophones venus de France, Belgique, Suisse, parfois de Monaco ou Andorre, enchaînent les tours et les sensations fortes. Laurence, 33 ans, qui a déjà pratiqué la conduite à l'aveugle en karting, dit « aimer les sensations, y compris dans les airs, et être un peu fofolle dans sa tête ». Ils sont néophytes pour certains, super initiés pour d'autres. La maîtrise est telle qu'il est parfois impossible de savoir qu'ils foncent dans le noir. Des pros de la conduite, assurément ! Ils sont guidés par la voix des moniteurs de l'auto-école belge Bara, ou celle de Yannick, des bénévoles impliqués, qui ont pris des congés pour partager ce moment étonnant et formateur. Ils n'en sont pas à une blague près, quitte à faire croire à un participant que la voiture démarre « à la voix ». 

Pas un baptême, un engagement

Tenté par l'expérience ? Chacun peut postuler, à condition d'être motivé. Pas question « d'offrir un baptême de conduite à un copain ou un petit-fils », le genre de demandes que Luc reçoit très fréquemment. « Il ne suffit pas de venir et de se dire 'Ça va rouler', en one shot, explique le fondateur de NVDM. On veut des gens positifs, qui partagent notre passion pour l'automobile, impliqués et patients. » Il faut du temps et de l'engagement avant de mettre le pied au plancher sur le circuit. « Beaucoup de personnes n'ont jamais conduit, et ça ne fait donc pas partie des choses naturelles pour un non-voyant. Alors si l'on ajoute des consignes en cascade, cela exige une attention de tous les instants », insiste Luc. La formation, qui dure en moyenne vingt heures, se fait en trois modules :
• L'écoute : la personne monte à l'arrière et écoute les consignes et le déroulement. Cette phase dure en moyenne deux stages.
• La découverte : c'est l'apprentissage de la conduite, le maniement du pédalier et du frein à main, le passage des vitesses sur un parking, à petite vitesse. Cette phase peut durer d'un à quatre stages.
• Le pilotage : étape ultime, elle propose la mise en situation de conduite sur le circuit.

Une voyante au volant

On a voulu tester... Un bandeau sur les yeux. Lâcher prise, s'abandonner... La tension est extrême, les sensations aussi. Tous les repères sont chamboulés. La conviction de frôler le record du monde alors que je me traîne à moins de 50 km/h. La voix de Yannick est douce, rassurante, mais la concentration atteint son paroxysme lorsque les ordres, saccadés, brefs, s'enchaînent. Trop de choses à penser, l'œil est au repos mais le cerveau est en ébullition, il croit bien faire, s'obstine dans ses convictions, anticipe lorsque ce n'est pas nécessaire. Lorsque Yannick annonce « Lâche les gaz », j'entends « Lâche les chevaux ». Et j'accélère. Au diable la chicane ! Yannick conserve son flegme, reprend les rênes et gère la débandade en une fraction de seconde. Ce furent 7 km mêlés de stress et de bonheur. De contradictions aussi ; alors que les amateurs non-voyants ont le sentiment d'accéder à une forme d'autonomie, la mienne a été bien entamée mais la leçon est ailleurs : apprendre à changer de repères et surtout à faire confiance !

En pratique

Et côté finances ? La cotisation à l'association NVDM est de 70 euros par an. L'expérience de conduite est gratuite mais les candidats, qui doivent toujours venir accompagnés, règlent leurs frais de transport, la restauration et l'hébergement. L'association met également à disposition de ses membres une bibliothèque sonore avec 2 500 ouvrages lus par des comédiens et des donneurs de voix. Depuis 2006, NVDM totalise 150 stages au compteur, désormais une dizaine par an sur des circuits mythiques : Spa, Paul Ricard (Castellet), Satory (Versailles), Ledenon (Nîmes).


Pour contacter l'association NVDM : nvdm.asso@gmail.com ou 06 30 18 05 24 (Luc Costermans).

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Handicap.fr. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, sans accord. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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