Handicap.fr : Votre parcours professionnel est riche. Quels sont les engagements qui vont ont le plus tenu à cœur ?
Jérémie Boroy : De l'Assemblée nationale à des structures associatives en passant par des cabinets ministériels, des entreprises de tailles diverses et ma propre boîte, j'ai surtout eu la chance de pouvoir multiplier les expériences dans des environnements très différents. Mais, très honnêtement, c'est de mon engagement associatif que j'ai le plus appris. Rien de tel pour se former que l'investissement au sein d'un collectif pour faire entendre sa voix tout en écoutant celle des autres, se familiariser avec le fonctionnement démocratique et réfléchir à tous les moyens de faire bouger les lignes ! Certains chantiers, pour ne pas dire combats, m'ont même offert le plaisir de connaître des changements réels et concrets, je pense à l'accès aux programmes télévisés, à la téléphonie, et à bien d'autres. Tout est donc possible et l'engagement associatif en reste la clé.
H.fr : Aujourd'hui, avec votre nomination à la présidence du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), qu'avez-vous envie de dire ?
JB : Que la tâche n'est pas banale. Je dédie cette nomination à toutes celles et tous ceux qui militent au quotidien pour que les personnes handicapées puissent participer et s'exprimer mais que nous ne voyons pas forcément. Cette prochaine mandature devra permettre au plus grand nombre de participer. Je me vois avant tout comme l'animateur d'un travail collectif, je souhaite former une équipe la plus diverse possible, en donnant à celles et ceux qui ont un handicap de l'expression, de la communication ou de la compréhension, la possibilité de participer.
H.fr : C'est la première fois qu'une personne en situation de handicap préside ce Conseil. En quoi est-ce important ?
JB : Même si le sujet du handicap n'est pas la chasse gardée des personnes handicapées, il est nécessaire de montrer que leur participation aux débats qui les concernent peut être davantage incarnée et rendue visible. C'est le choix qui a été fait, je m'en réjouis, et nous ne nous limiterons pas au symbole puisque c'est tout le fonctionnement du CNCPH qui sera revu pour garantir à tous les participants, quels que soient leurs handicaps et contraintes, la possibilité de contribuer à nos échanges.
H.fr : Pour quelles raisons pensez-vous avoir été choisi ?
JB : Sans doute que mon intérêt pour le débat public et pour la mobilisation des acteurs de notre société y a contribué. Je ne suis pas un godillot et le CNCPH n'est pas réputé pour être une assemblée de béni-oui-oui, la combinaison a dû être jugée intéressante. Plus sérieusement, je sais que mon attachement au dialogue et à la prise en compte de tous les points de vue est partagé par beaucoup.
H.fr : Un quota de 15 % de personnes handicapées, dites « qualifiées », est pour la première fois mis en place au sein du CNCPH. En quoi était-ce important ?
JB : Pour que le Conseil soit le plus représentatif possible, il faut que nous ne passions à côté d'aucun profil pouvant éclairer nos débats. Formaliser ce « quota » nous permet de confirmer l'engagement du CNCPH à poursuivre son ouverture à la société toute entière. Charge à nous de donner le goût à davantage de personnes handicapées de participer, tout en veillant à renouveler le plus régulièrement possible ce vivier de talents nouveaux !
H.fr : Quelle sera votre marque de fabrique ?
JB : Je veux que le CNCPH renforce davantage son audience auprès de la société et des décideurs publics. Mon objectif est d'amplifier le mouvement engagé par Dominique Gillot il y a quatre ans et d'offrir l'occasion à un plus grand nombre d'acteurs de nous interpeller. Je souhaite aussi le « sortir » du ministère des Affaires sociales, où ses séances sont traditionnellement accueillies, pour tenir nos réunions hors les murs, en allant dans des lieux emblématiques qui ont mené des démarches d'accessibilité inspirantes -lieux culturels, écoles…- mais aussi en répondant à l'invitation des autres instances consultatives avec qui nous multiplierons les échanges et les collaborations. Je suis par ailleurs sensible à l'annonce de la ministre Sophie Cluzel qui a envisagé qu'un « comité citoyen » soit organisé chaque année sous l'égide du CNCPH, sur le modèle de la conférence citoyenne sur le climat.
H.fr : L'avis du CNCPH reste consultatif, certains doutant de son utilité. Les choses peuvent-elles changer ?
JB : Le CNCPH est déjà identifié, reconnu, respecté, parfois même… redouté. L'ambition affichée est de le conforter dans sa mission de co-construction des politiques publiques. Les sujets à traiter sont tellement nombreux que nous avons parfois le sentiment de n'intervenir qu'en réaction à des projets de textes déjà ficelés, ce qui est naturellement frustrant. C'est en amont de l'élaboration des lois que nous devrons réussir à nous faire entendre, au moment où les ministres prennent le crayon et pas dans une course épuisante aux amendements après coup. Je serai particulièrement attaché à l'implication de notre instance dans ces débats.
H.fr : Votre nomination intervient-elle à un moment particulier ?
JB : Oui. Quinze ans après la loi du 11 février 2005, je suis fasciné par la rapidité avec laquelle les choses ont changé dans notre vie quotidienne, et le chemin parcouru depuis. Les nouvelles générations de personnes handicapées qui arrivent, qui ont bénéficié d'une meilleure insertion dans la société, ont été mieux formées, ne voient plus les choses de la même façon et aspirent à s'exprimer. C'est très enthousiasmant !
H.fr : Certains redoutent que vous prêchiez surtout pour votre paroisse, c'est-à-dire les personnes sourdes. Que leur répondez-vous ?
JB : Que les mêmes auraient eu exactement la même remarque à l'égard d'un-e président-e avec un autre handicap qui aurait naturellement été suspecté-e de rouler pour sa paroisse. C'est cette vision du handicap, fractionnée, que nous devons collectivement faire évoluer pour ne plus faire fuir les acteurs de la société civile que nous cherchons à embarquer avec nous. C'est aux côtés d'autres associations, y compris dédiées au handicap moteur, que j'ai appris à travailler en collectif : au CNCPH -que je fréquente depuis de longues années et dont j'ai eu l'honneur d'être vice-président- ou du conseil d'administration de l'Agefiph, du comité national du Fiphfp ou encore du conseil de la CNSA, et naturellement au sein du comité d'entente.
H.fr : Une charte des engagements est en projet. Que prévoit-elle ?
JB : Elle est en cours de rédaction et tous les nouveaux membres du futur CNCPH seront invités à la signer. Même si des sujets restent parfois spécifiques à tel ou tel handicap, nous devrons systématiquement afficher des règles communes et défendre des positions collectives pour nous faire entendre. L'exercice n'est pas simple !
H.fr : Quand les nouveaux membres du CNCPH seront-ils désignés ?
JB : Nous avons trois mois pour créer le CNCPH nouvelle version. Comme Sophie Cluzel l'a annoncé, un appel à manifestation d'intérêt va être lancé en novembre pour que les acteurs fassent acte de candidature. Avec Dominique Gillot, son actuelle présidente, nous veillerons à ce que cet appel n'échappe à personne !
H.fr : Quand prendrez-vous vos fonctions ?
JB : Le 22 janvier 2020. C'est demain !
H.fr : C'est un job à temps plein ? Poursuivrez-vous d'autres activités ?
JB : La présidence du CNCPH, comme la participation aux travaux par ses membres, est une mission bénévole. J'articulerai cet engagement avec mes activités professionnelles. Il m'importe d'être sur le terrain le plus clair de mon temps, au contact des acteurs et des publics concernés par les sujets que nous développerons au Conseil.
Boroy, président CNCPH : priorité à l'expression collective!
Jérémie Boroy sera le 1er président du CNCPH en situation de handicap. Une mandature, à compter de janvier 2020, placée sous le signe de la participation et de l'expression collective. Quelle sera la marque de fabrique de ce rassembleur ?
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