« Depuis un an, ma vie a changé. J'ai gagné beaucoup de temps et je suis plus détendu avec mes interlocuteurs », se réjouit Jérémie Boroy, malentendant et membre du Conseil national du numérique. L'origine de cette « transformation » ? Le Centre relais téléphonique (CRT) qui met en relation des personnes sourdes, malentendantes, aphasiques et sourdaveugles avec leur interlocuteur, via la présence d'une personne tiers. Ce dispositif a été mis en place le 8 octobre 2018, dans le cadre de l'article 105 de la loi pour une République numérique, qui contraint les services publics et les entreprises de plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires à rendre leur service client accessible. Un an plus tard, l'heure est au bilan ! Tel est l'enjeu de la conférence organisée, le 8 octobre 2019, par la Fédération française des télécoms (FFTélécoms).
100 000 appels en un an
Les opérateurs membres de la FFTélécoms (Bouygues Télécom, Euro-Information Télécom, La Poste mobile, Orange et SFR) ont lancé ce service pour permettre aux personnes déficientes auditives de téléphoner en utilisant trois canaux de communication : la langue des signes française (LSF), le langage parlé-complété (LPC) et le sous-titrage des appels. Ce service, matérialisé par l'application Rogervoice, leur permet de bénéficier d'une heure gratuite de « communication assistée » par mois. En un an, 100 000 appels ont été passés : 12 000 sous-titrés, 83 701 en LSF et 994 en LPC. Pour optimiser et fluidifier les échanges, la startup française éponyme utilise l'intelligence artificielle. « En un an, nous avons accompli de nombreux progrès, et les utilisateurs semblent très satisfaits, mais on ne se repose pas pour autant sur nos lauriers », assure Olivier Jeannel, directeur général de Rogervoice.
Rôle fondamental des associations
Pour répondre au mieux aux attentes, la FFTélécoms organise régulièrement des concertations avec des associations spécialisées. « Elles jouent un rôle fondamental dans l'identification des besoins concrets et des priorités des utilisateurs et nous incitent à aller toujours plus loin pour améliorer l'accessibilité des personnes handicapées », se félicite son président, Arthur Dreyfuss. En parallèle, la FFTélécoms sollicite la Fédération nationale des aphasiques de France (FNAF), l'Association nationale pour les personnes sourdaveugles et le Réseau national des sourdaveugles afin d'étendre le service à ces populations. Si la loi prévoit qu'elles puissent également bénéficier du CRT, il n'existe pas de plan métier permettant de former les personnels à même de les accompagner. A ce titre, la Fédération vient de créer le premier diplôme universitaire de formation des accompagnants chargés d'assister les personnes aphasiques lors de conversations téléphoniques (article en lien ci-dessous).
Guides pratiques en FALC
Si « des progrès incontestables ont été réalisés en matière d'accessibilité numérique, plusieurs obstacles persistent dans l'accès aux droits », déplore Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits. Certaines populations en font les frais, à commencer par les personnes en situation de handicap intellectuel. Selon une consultation lancée par l'Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA), 60 % d'entre elles utilisent régulièrement le numérique contre 90 % de la population générale. Comment réduire cet écart ? Arthur Dreyfuss, qui se dit « engagé dans une démarche particulièrement active d'inclusion », a développé, avec l'ESAT de la Roseraie, à Carrières-sur-Seine (Yvelines), huit fiches pratiques en Facile à lire et à comprendre (FALC) (lien ci-dessous) : Que faire en cas de vol de mon téléphone portable ?, Guide complet pour recycler mon mobile… L'objectif : « rendre le secteur des télécoms non pas accessible au plus grand nombre mais accessible à tous ». D'autant plus que « le FALC ne facilite pas seulement la vie des personnes en situation de handicap intellectuel, intervient Patrick Gohet, avec la casquette d'ancien directeur de l'UNAPEI, une association de défense des personnes handicapées mentales. C'est un outil au service de l'ensemble de la société qu'il faut promouvoir ! » « Mais tous ces services n'ont de sens que s'ils sont connus par les utilisateurs potentiels », alerte Jérémie Boroy, en incitant les opérateurs à « fournir des efforts de communication pour lutter contre l'exclusion sociale et professionnelle ».
De l'obligation à la nécessité
Selon Sophie Rattaire, coordinatrice interministérielle à l'accessibilité universelle et à l'inclusion, le bilan du centre relais est « assez positif », marqué par un élan « volontariste » de l'ensemble des opérateurs, qui ont « pris conscience » de l'enjeu de cette obligation légale, à savoir une plus grande autonomie des personnes en situation de handicap. Pourtant, ce n'était pas gagné ! « Comme tout le monde, nous ne sommes pas très fans des obligations, reconnaît Arthur Dreyfuss. Mais une fois qu'on la respecte et qu'on en saisit le sens, elle devient une nécessité », ajoute-t-il, se disant conscient du « rôle social » « gratifiant » qu'il y a à jouer. « Grâce à la pression ministérielle, nous sommes devenus une industrie pionnière en la matière », se réjouit-il. « Je me souviens encore des cris de désespoir des opérateurs à l'annonce de cette obligation, il y a quelques années. Je ne sais pas si cela tient du syndrome de Stockholm mais, aujourd'hui, ils semblent ravis ! », sourit Antoine Darodes, directeur de cabinet du secrétaire d'Etat au numérique, Cédric O.
7e charte d'engagements volontaires
La FFTélécoms va d'ailleurs « au-delà des contraintes » en signant, la septième charte d'engagements volontaires qui vise, depuis 2011, à favoriser l'accès des personnes handicapées aux communications électroniques. Elle s'articule autour de quatre engagements fondamentaux : proposer des produits et des services accessibles, informer le grand public de ces offres, assurer un suivi clientèle adapté aux besoins et s'inscrire durablement dans une démarche de progrès. Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d'Etat au numérique, initiatrice de la loi pour une République numérique, salue cette « véritable prise de conscience en l'espace de 15 ans », mais « il y a encore du boulot... Alors il faut « poursuivre cette mobilisation collective » et motiver le secteur privé !