Infirmes ou invalides, aliénés, anormaux, déficients, paralytiques... Longtemps le dictionnaire a proposé une définition sans concession, parfois cruelle, des personnes handicapées ! Puis, plus subtilement, le mot « handicap » s'est imposé. Il vient du terme anglais « hand in cap » (la main dans le chapeau), en référence à un jeu pratiqué au XVIème siècle en Grande-Bretagne qui consiste à échanger des biens à l'aveugle dont la valeur est contrôlée par un arbitre qui assure l'égalité des chances entre les joueurs. Cet anglicisme a ensuite engendré le substantif « handicapé » qui apparait officiellement dans les textes de loi français en 1957, le plus souvent accolé au mot « travailleur », puis poursuit sa métamorphose en se déclinant en « personne handicapée ».
Nouveau : « personne en situation de handicap »
Depuis quatre ou cinq ans, c'est la périphrase « personne en situation de handicap » qui s'est imposée dans la bouche des « initiés ». Une terminologie socialement correcte qui entreprend d'arrondir les angles, nourrie par un argument novateur : le handicap ne survient que lorsque l'environnement n'est pas adapté et qu'il place la personne « en situation de handicap ». Ce néologisme a donc le mérite de ne plus désigner seulement les personnes atteintes d'un handicap permanent mais d'élargir la notion de handicap à tout individu pouvant éprouver une difficulté à accomplir une tâche dans un contexte donné. Aujourd'hui, près de 12 millions de Français peuvent alors être considérés comme porteurs d'une incapacité ou d'un handicap.
Sur le papier, le handicap ne serait donc plus qu'une « affaire de situation ». Dans ce contexte (peut-être un peu trop idéal !), pourrait-on imaginer qu'avec un vaste arsenal d'aides techniques toujours plus sophistiquées et un principe d'accessibilité respecté, il pourrait être considérablement gommé et, pourquoi pas, disparaître ? C'est tout l'enjeu, en France, de la loi de 2005 et des nouvelles réglementations européennes qui prêchent pour le principe de « conception universelle ».
Sarkozy et « les handicapés »
Mais que pensent les personnes concernées de ce débat linguistique ? Il y a quelques temps, dans l'un de nos éditos (lien ci-dessous), Maudy Piot, présidente de l'association « Femmes pour le dire, Femmes pour agir », elle-même aveugle, scandait « Nous ne sommes ni des substantifs ni des adjectifs qualificatifs ! », chaque fois indignée lorsqu'elle entend dire « les handicapés ». « Cela arrive encore trop souvent. Nous ne sommes pas des « handicapés » mais des « personnes handicapées » ! Ce n'est pas un détail ; les mots ont une importance considérable. Je suis aveugle depuis quinze ans mais le handicap n'est pas mon identité. Le fait d'être aveugle n'est qu'un hasard de la vie. » En littérature, on appelle cela une « métonymie » : utiliser une partie pour désigner un tout. Or il est évident que la personne handicapée ne se résume pas à sa seule déficience. Alors que penser de l'intervention de Nicolas Sarkozy en 2011, lors de la seconde Conférence nationale du handicap ? Alors président de tous les Français, il répète à l'envi « les handicapés », lisant un texte qu'on imagine pourtant préparé à l'avance par des conseillers hautement briffés. Dans l'assistance, on peut entendre quelques oreilles grincer !
Des revendications stériles ?
Mais faudrait-il, dans ce contexte où l'on accorde forcément au mot sa pleine valeur symbolique, se résoudre à employer le principe de la périphrase pour tous ? Les chômeurs deviendraient des « personnes en situation d'absence de travail », les femmes des « personnes en situation de féminité », les homos des « personnes en situation d'homosexualité » et les étrangers des « personnes en situation de non francisation ». Apparemment prête à en découdre avec les subtilités de langage, une internaute répond à Maudy, avec une exaspération manifeste : « C'est ridicule ! L'adjectif ne réduit pas la personne mais la situe dans un contexte : on l'appelle salariée, jeune, grande, sportive, étourdie, aveugle... selon le cas. On se doute bien qu'on parle d'une personne, pas d'une bouteille ni d'un trombone... Pourquoi culpabiliser les gens avec des revendications aussi stériles ? ».
Loin d'être anecdotique, cette question alimente donc une franche polémique et témoigne de la difficulté à trouver une terminologie consensuelle. Dès lors, plutôt que de commettre un impair, certains préfèrent se taire... Une suggestion : ne faudrait-il pas proposer l'usage de la définition canadienne : « personnes exceptionnelles » ! Pas sûr qu'elle offre davantage de consensus...
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