Philippe, aujourd'hui, vous avez décidé de nous faire rire. Vous vous lancez dans le one man show ?
Peut-être un jour. J'adore rire, et même de mon handicap. L'humour, c'est vraiment mon rayon, ma soupape. Mais, pour le moment, je vais vous parler d'autres talents qui ont décidé de ne plus voir seulement le handicap par le tout petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire la souffrance, la pitié, le courage… Il faut arrêter avec cette vision compassée de la personne handicapée et un bon fou rire vaut souvent mieux qu'un long discours. Je tiens quand même à rappeler que le carton de ce début de millénaire, c'est Intouchables avec plus de 20 millions d'entrées. Alors certains, en général handicapés d'ailleurs, ont décidé d'exploiter le filon…
On peut vraiment rire de tout ?
Apparemment. Un récent sondage (Licra-Opinion way) révélait que 66% des personnes interrogées considéraient qu'on pouvait rire du handicap.
Les artistes handicapés ne s'en privent donc pas et sont de plus en plus nombreux à monter sur scène dans des spectacles totalement insolents.
Oui, et la liste est de plus en plus longue. Je ne pourrai pas tous les citer. Il y a Guillaume Batz par exemple, qui fait une tournée dans toute la France avec un spectacle totalement déjanté. Ou encore Serge Van Brakel ; ce Belge infirme moteur cérébral a de grandes difficultés d'élocution et il a pourtant l'audace de monter sur scène, seul face au public. Il y aussi Laurent Savard qui, avec son Bal des pompiers, raconte la vie haute en couleurs avec son fils autiste. Plus récemment, c'est Gérard Lefort qui abandonne sa carrière d'instituteur pour tenter sa chance dans l'humour ; il est paraplégique et son spectacle s'intitule Asseyez-vous, ça va faire mal…
La télé fait aussi ce pari. En ce moment, est diffusée sur France 2 du lundi au jeudi à 20h40 la mini-série Vestiaires.
Oui ce sont des potes, tous handicapés, des types complètement fous qui ont planté le décor dans les vestiaires d'un club handisport. J'ai d'ailleurs joué dans plusieurs épisodes. C'est cynique, corrosif, impertinent.
Déjà la 5e saison. C'est inattendu comme succès.
Oui, jusqu'à 4 millions de téléspectateurs par épisode en 2015. Vous imaginez l'impact que ça peut avoir en termes d'image.
En France, l'humoriste Jérémy Ferrari a été en quelque sorte un précurseur avec son émission « Handicap handi pas cap » dans lequel il proposait à des personnes handicapées de relever des défis, disons-le, débiles.
Oui, par exemple, moi, je devais attraper des plaquettes de chocolat. Vous imaginez la suite : « Pas de bras, pas de chocolat ». Jérémy est allé très loin dans la provoc, au risque de choquer parfois, mais surtout les personnes valides, bien pensantes. Nous les handis, on a trouvé ça plutôt très drôle et surtout audacieux.
Fin octobre 2015, des Québécois lancent une nouvelle série qui a pour titre « Gang de malades ». De quoi s'agit-il ?
Depuis le 26 octobre, une chaîne canadienne diffuse une nouvelle émission de caméra cachée dans laquelle les passants sont piégés par des personnes handicapées. Au programme : un jeune trisomique qui remplit les sacs au supermarché en prenant bien soin de tout écraser, une personne de petite taille qui fait usage d'un lavabo comme d'un bain dans une quincaillerie. Et bien d'autres fantaisies en tous genres…
Est-ce qu'on pourrait imaginer voir ce type d'émission en France ?
Oui et peut-être même très bientôt. Des Grenoblois ont lancé un projet similaire, Handiscrétion, qui filme des « handis » dans des situations improbables. Toujours en caméra cachée. On doit cette initiative à trois jeunes comédiens handicapés qui rêvent de vivre de leur passion. Pour le moment, l'équipe a réalisé un numéro zéro pour tenter de séduire télés et partenaires.
Mais vous pensez vraiment que cette forme d'insolence peut plaire aux personnes handicapées.
Oui je n'en doute pas ! Handiscrétion, par exemple, est soutenu par l'Association des paralysés de France (APF). C'est ça aussi l'inclusion ; être objet de satire, au même titre que tout un chacun. Les personnes handicapées sont en général tout à fait capables d'autodérision et sont même les premières à rire de leur handicap.
Pourtant, on se souvient de l'affaire avec l'humoriste Patrick Timsit qui avait été attaqué par des associations après son sketch sur les personnes trisomiques.
Oui, bien sûr, l'humour ne fait pas toujours l'unanimité et peut parfois heurter certaines sensibilités, c'est évident. Mais, très récemment, il y a eu une autre affaire qui a semé une petite discorde dans le milieu du handicap : une couverture de Charlie Hebdo qui titrait « Morano, la fille trisomique cachée de De Gaulle ». Sachant que le Général avait en effet une fille trisomique. Certains ont crié au scandale mais ce qui est intéressant, c'est la réaction de l'association Trisomie 21 France. Elle a expliqué, dans une interview accordée au site handicap.fr (en lien ci-dessous), qu'elle n'avait pas l'intention de s'en offusquer et que des ateliers avaient été organisés sur le thème de la liberté d'expression avec les personnes trisomiques après l'attentat contre Charlie. Dans ces conditions, cette asso considérait qu'il ne pouvait pas y avoir deux poids deux mesures. Et qu'on avait, au final, le droit de rire de tout, le droit aussi de ne pas apprécier…
Rire avec les personnes handicapées, c'est donc une belle option pour changer les mentalités.
Ça oui, j'en suis convaincu. Rien de tel pour briser les barrières, surtout celle de la peur. Si vous êtes face à une personne handicapée qui a la banane, vous aurez envie d'aller vers elle, d'échanger, de sourire à votre tour. Nous avons lancé en 2015 le festival Croizy du handicap positif, dans lequel des amateurs sont invités à réaliser des films de moins de trois minutes ; la plupart ont choisi l'humour pour faire passer leur message. Et ça a super bien fonctionné. En 2013, en Moselle, était organisé le premier festival « Humour et handicap ». C'est vraiment quelque chose dans l'air du temps, et ça me fait fichtrement plaisir.