En pleine guerre civile espagnole, Picasso réalisait sa Femme assise sur la plage. Une baigneuse au corps déstructuré, peinte avec humour et dérision, tout occupée à prendre soin de ses pieds… Pour Rémy Closset, architecte à la retraite et déficient visuel, ce tableau n'a pas de secret. Depuis plus de deux ans, il met en relief, grâce à la modélisation 3D, des peintures de maître pour les rendre accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes. Ses créations, réunies sur son site Invisible Art (lien ci-dessous), sont exposés dans plusieurs établissements culturels ; en France, en Italie et en Belgique, les musées passent commande !
Un clavier braille dans la rue
Franc sourire et accent belge bien marqué, Rémy n'y voit plus très clair. Reconnu porteur de handicap depuis 1995, ce n'est qu'en 2004 qu'il quitte son travail d'architecte, devenu trop difficile à exercer. « Je ne pouvais plus conduire, tout devenait très compliqué. J'ai déposé les armes en me demandant ce que je pouvais faire par la suite. Le problème, c'est que j'ai une idée tous les quarts d'heure ! ». Un problème, mais surtout une richesse pour l'association Valentin Haüy, que Rémy rejoint après sa démission et qui l'encourage à mettre ses compétences d'architecte au profit des personnes malvoyantes et aveugles. Tout commence par un clavier braille. Mise à disposition des passants, une large plaque en inox regroupe les lettres de l'alphabet latin et leur traduction en caractères braille. Sous les deux alphabets, une phrase en braille invite les plus curieux à décrypter sa signification. Le clavier est aujourd'hui installé à Lyon, près du parc de la Tête d'or.
Sculpter en 3D comme avec de l'argile
Par la suite, Rémy Closset s'attaque aux tableaux qu'il souhaite « traduire » en relief pour les personnes en situation de déficience visuelle. Si la mise en relief de peintures existe depuis un moment, pour Rémy, rendre l'art et la culture accessibles aux personnes aveugles relève d'un véritable combat. Aujourd'hui, il travaille pour huit musées en Europe (dont l'Institut des aveugles, à Bologne) et propose des copies de tableaux qu'il conçoit… depuis son ordinateur, via un logiciel libre de modélisation ! « À partir de photos, je peux recréer des textures, ajouter des effets, comme si j'avais de l'argile entre les mains, précise-t-il. Lorsque la conception est terminée, je fais fabriquer le tableau par une fraiseuse numérique ». À l'aide d'un outil coupant, la machine crée les formes voulues dans un bloc moulé, via un processus d'enlèvement de matière. Une méthode très moderne, au service d'œuvres beaucoup plus anciennes, qui représente un coût élevé (parfois près d'un millier d'euros) puisque chacune nécessite en moyenne 50 heures de fraisage numérique. Précis et minutieux, les tableaux de Rémy Closset sont réalisés en résine polyuréthane, un matériau très résistant. « Vous pouvez les passer au lave-vaisselle, ils en sortiront comme neufs ! » Après s'être penché sur des peintures de Bonnard et de Gauguin, l'artiste s'intéresse aux mosaïques, telle que celle représentant L'ivresse d'Hercule.
Des mini monuments tactiles
Hyperactif, Rémy ne confectionne pas que des tableaux. L'ancien architecte collabore également avec l'IUT (Institut universitaire de technologie) de Charleville-Mézières, rattaché à l'université de Reims, afin de concevoir des maquettes tactiles. L'objectif ? Permettre à toutes les personnes souffrant de cécité d'imaginer l'architecture de grands monuments tels que le stade « Nid d'oiseau » de Pékin, le Mont Saint-Michel, les grands musées nationaux… Ces maquettes sont faites pour être démontées, remontées, comprises grâce au toucher. « Je ne comprends pas qu'on puisse les exposer bêtement dans une cage de verre. Même pour les personnes voyantes, elles perdent tellement leur sens et leur utilité ! », s'indigne-t-il.
Avec Invisible Art, Rémy Closset n'invente rien (la galerie tactile du Louvre a ouvert ses portes en 1995) mais son travail aboutit à des œuvres pérennes et réalistes. Il s'enthousiasme du succès rencontré : « En les rendant accessibles, je me rends compte de l'émotion qu'elles créent, surtout chez les personnes aveugles de naissance ou précoces, plus tactiles que les personnes âgées et malvoyantes ». En s'invitant dans les musées, il permet tout simplement de toucher l'art. De le palper, de le comprendre de près, et d'accéder d'un peu plus près à la culture… encore trop fermée au handicap ?
© Rémy Closset / Aimée Le Goff