Le 14 février 2022, Cédric et Sophie sont loin d'imaginer que leur vie va basculer à cause d'une pizza… Une fois par mois, la famille originaire de Meurthe-et-Moselle s'offre ce plaisir culinaire tout préparé, toujours avec la même marque : « Fraich'up » de Buitoni. Mais, cette fois, le rituel ne se passe pas comme prévu.
Dans la viande crue mais pas que...
L'aînée de la famille, Léna, 12 ans, développe quatre jours plus tard de grosses douleurs au ventre qui vont la conduire aux urgences ; on détecte alors la bactérie Escherichia coli ou « E. Coli » dans ses analyses. Entre-temps, l'état de l'adolescente s'est dégradé. Léna a été, comme 75 autres enfants français, victime d'un syndrome hémolytique et urémique (Shu), après l'ingestion de cet aliment ces deux derniers mois. Cette bactérie est présente dans le tube digestif de l'homme ou d'animaux comme la vache mais sans conséquence. Mais, lorsqu'elle se déplace à l'extérieur, sur d'autres produits, elle devient porteuse d'agents pathogènes : les shigatoxines. On peut les trouver notamment dans la viande hachée crue ou mal cuite, le lait cru et la contamination fécale de légumes. Avec un système digestif moins « mature » que celui des adultes pour faire face aux infections, les enfants sont globalement les plus touchés.
« Elle ne parle plus, n'entend plus, ne voit plus »
Deux mois après son repas tragique, Léna se retrouve sur un lit d'hôpital dans un état préoccupant. « Elle ne parle plus, n'entend plus, ne voit plus », s'alarment ses parents qui ne savent pas si leur fille redeviendra comme avant. Pour Theresa Kwon, pédiatre au service de néphrologie de l'hôpital Robert-Debré, à Paris, certains patients peuvent garder des séquelles à vie. « La shigatoxine responsable du SHU pénètre dans les cellules et provoque la formation de caillots dans les organes bientôt en souffrance. Ça touche en premier lieu les reins mais pas que », explique-t-elle. Le cœur, le cerveau, le pancréas (…) peuvent être également impactés. Elle affirme d'ailleurs que 30 % des patients ont une manifestation hors du rein et la moitié ont des lésions neurologiques, comme Léna. Les atteintes peuvent être au niveau de la parole, de la marche mais aussi au niveau cognitif ou les deux à la fois (article en lien ci-dessous), « un peu comme une espèce d'AVC », schématise la pédiatre. « Ça n'est pas normal quand on mange une pizza ! », s'indigne-t-elle.
Une augmentation des cas en dix ans
Après les pizzas Buitoni, les chocolats Kinder contaminés à la salmonelle puis les fromages au lait cru à la Listeria, le monde de l'industrie agro-alimentaire est plus que jamais pointé du doigt. « En l'espace de deux mois, on est déjà à la moitié des effectifs annuels de patients contaminés », explique Theresa Kwon, qui constate une augmentation des cas en France depuis plusieurs années. « Il y a dix ans, il y avait moins de cent patients par an, aujourd'hui, on est plus autour de 140 ou 160 », s'inquiète-t-elle. Un chiffre qu'elle ne parvient pas à s'expliquer. Jérôme Simplot, président de l'association « Shu typique » depuis 2019, regrette le « manque de contrôles sanitaires externes », jugés pourtant plus sérieux. « Résultat, les contrôles se font en interne et on ne sait absolument pas comment ça se passe », s'indigne-t-il. Depuis 2008, il vit « avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ». Sa fille, alors âgée de deux ans, contracte ce qui ressemble à une gastro et qui s'avère être un SHU. Pour le père, pas de doute, c'est le steak haché qu'elle a mangé qui en est à l'origine mais « nous ne le saurons jamais car aucune analyse n'a été effectuée par l'hôpital. Le produit a été jeté à la poubelle ! », enrage-t-il.
Un suivi néphrologique à vie
Aujourd'hui âgée de 16 ans, la jeune fille vit à peu près normalement mais sera suivie toute sa vie par un néphrologue, spécialiste des reins, avec la crainte de devoir subir une dialyse, voire par la suite une greffe. Au quotidien, ses parents continuent de surveiller le contenu de ses assiettes « sans tomber dans la paranoïa néanmoins ». Plus de steak haché à la cantine par exemple et l'interdiction pendant très longtemps du fast-food. « C'est dur pour une jeune fille de son âge qui sort avec ses copains », admet son père. Au sein de l'association, des victimes présentent, elles aussi, des problèmes de tension, du diabète ou encore des retards de parole. « Beaucoup d'enfants sont suivis par des orthophonistes », révèle Jérôme Simplot. Et que dire des conséquences psychiques ? Certains sont marqués à vie. Sur le groupe Facebook de l'association, « Shu-sortons du silence », une mère confie tout simplement avoir « peur de donner à manger à sa fille ».