Une gestion « coûteuse et mal maîtrisée », « une impasse financière », une « valeur ajoutée faible » et des « résultats insuffisants »… Lorsqu'elle dresse le bilan des actions des deux fonds dédiés à l'emploi des personnes handicapées, la Cour des comptes n'y va pas avec le dos de la cuillère.
Un contrôle au peigne fin
Le 8 janvier 2018, après avoir contrôlé la gestion de l'Agefiph (pour le privé) et le Fiphfp (pour le public), l'institution chargée de la régularité des comptes publics publie son référé (en lien ci-dessous), adressant ses recommandations au Premier ministre et à Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat en charge du handicap. Les deux organisations ne pourront pas, selon la Cour, faire l'économie d'une « refondation ». Les dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle des personnes handicapées sont au cœur des débats (préoccupations ?) depuis plusieurs mois déjà et elle ne fait donc que confirmer les alertes récurrentes.
Un budget de fonctionnement trop élevé
La Cour des comptes reproche en premier lieu aux deux fonds leur « gestion coûteuse ». Et de s'attaquer aux dépenses de fonctionnement de l'Agefiph (sur la base de 10 % du montant total de son budget) qu'elle juge « sans aucun fondement, ni réglementaire, ni économique ». Le niveau des dépenses de personnel reste élevé, en raison de l'augmentation des effectifs, mais également « du niveau moyen de rémunération et de l'octroi d'importants avantages en nature aux cadres de direction, ainsi que du versement d'indemnités de licenciement et de transaction d'un montant élevé ». Le suivi des ressources des syndicats d'employeurs et de salariés représentés au conseil d'administration (2,3 M€ entre 2012 et 2015) est jugé « défaillant » tandis que l'apport réel des « rémunérations d'études ou d'actions spécifiques » (1,9 M€ sur la même période) soulève des « interrogations au regard de leur coût ». Le Fiphfp n'est pas en reste avec des coûts de gestion « à des niveaux élevés ».
Une collecte mal maîtrisée
C'est ensuite la collecte des ressources qui est jugée « mal maîtrisée », avec notamment des « dysfonctionnements entre la souscription et le traitement des déclarations ». Et de déplorer « la complexité de la déclaration que les employeurs doivent adresser aux deux organismes », source de « nombreuses erreurs, préjudiciables à une mise en œuvre efficace de la collecte des contributions ». Dans le privé, la Cour observe des retards dans le traitement des Déclarations obligatoires d'emploi des travailleurs handicapés (DOETH) et un manque de contrôle annuel. Dans le public, le recouvrement de la contribution n'est pas non plus toujours immédiat : en 2015, 12 % des employeurs ne s'en sont pas acquittés spontanément. Une situation « alarmante » puisque, dans 55 % des déclarations, la contribution est sous-évaluée. Pourtant, en 2015, moins de 2 % ont fait l'objet d'un contrôle. La Cour critique également le fait que « le traitement des recours des employeurs » a été « trop longtemps négligé », avec des procédures qui ne permettent pas d'en assurer correctement le suivi et fragilisent le fonds en cas de contentieux.
Une impasse financière
Ce modèle de financement aboutit donc, selon la Cour, « à une impasse financière ». Comment résoudre la quadrature du cercle qui menace tout d'abord les réserves puis la survie des deux fonds (article en lien ci-dessous) ? En effet, au fur et à mesure que l'insertion des personnes handicapées progresse, les ressources de ces organismes se réduisent inévitablement, alors même que les dépenses continuent à augmenter ou ne diminuent pas dans les mêmes proportions. Cet effet ciseau impose urgemment une « réforme de leur cadre d'intervention et de modalités de financement ». A titre d'exemple, le montant de la collecte de l'Agefiph a baissé de 100 millions d'euros entre 2012 (518 M€) et 2015 (406 M€). Dans le même temps, les dépenses sont restées stables, ce qui a entraîné un déficit de fonctionnement croissant. Mécanisme identique pour le Fiphfp. D'autant que ces résultats défavorables ont été amplifiés par une ponction de 29 M€ par an entre 2015 à 2017 pour soutenir le financement des contrats d'accompagnement dans l'emploi et des contrats uniques d'insertion (CAE-CUI), au motif que les personnes handicapées pouvaient en bénéficier.
De simples financeurs ?
Dans ce contexte, le Comité interministériel du handicap du 2 décembre 2016 a arrêté le principe d'une réforme du « modèle de financement ». Les inspections générales des finances et des affaires sociales ont été chargées en mai 2017 de formuler des propositions. Néanmoins, selon la Cour des comptes, « la situation actuelle appelle une interrogation fondamentale sur la place et le rôle de ces deux instruments ». Elle continue d'enfoncer le clou ; ils ne seraient que de « simples financeurs, sans stratégie ni expertise propres » avec, de ce fait, des « résultats limités ». Elle reproche également à l'Etat son désengagement dans ce pilotage, avec l'absence de renouvellement de la convention d'objectifs depuis 2010. L'offre d'interventions aurait par ailleurs une « portée stratégique mal définie », avec des interventions considérées comme « non priorisées et peu innovantes », le Fiphfp n'ayant « pas non plus répondu aux demandes d'employeurs publics qui recherchaient des prestations innovantes hors catalogue ». La Cour observe ensuite une absence d'harmonisation des prestations entre les deux fonds, qui crée des différences importantes de traitement dans la prise en charge des travailleurs handicapés. Fiphfp et Agefiph répondraient donc « davantage à une logique de gestion administrative d'une enveloppe de ressources qu'à une démarche stratégique au profit de publics ciblés dont les besoins seraient clairement identifiés ».
Un rapport de 10 pages
Au fil des dix pages du référé, les critiques fusent, sévères : « Les résultats de cette politique sont insuffisants » notamment parce que la contribution des employeurs reposerait sur « des règles inadaptées et des modalités de calcul perfectibles ». La contribution, perçue comme une taxe, pourrait ainsi inciter certains employeurs à faire pression sur leurs agents pour qu'ils entament une procédure de reconnaissance de handicap. Par ailleurs, avec un tel système, des entreprises vertueuses qui mènent des actions de prévention pour limiter les risques au travail et peuvent donc, en toute logique, avoir un taux de travailleurs handicapés faible sont plus pénalisées que celle qui « cassent » leurs employés puis les maintiennent en emploi. La Cour tique par ailleurs sur certains mécanismes d'exonération peu justifiés. Un exemple : le statut de militaire des gendarmes les exclut de l'obligation d'emploi de personnes handicapées alors que les policiers, qui remplissent des missions semblables, y sont assujettis ! Elle n'oublie pas un cas d'école fréquemment dénoncé : l'exonération de l'Education nationale au motif qu'elle met en place un accompagnement des enfants handicapés scolarisés !
Une existence justifiée ?
La conclusion de la Cour des comptes est donc sans appel : « Alors qu'il est en vigueur depuis maintenant 30 ans, l'objectif de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés n'est donc atteint, ni par les employeurs du secteur public, ni par ceux du secteur privé. Cette situation invite à s'interroger sur les performances de l'Agefiph et du Fiphfp. ». Respectivement 3.7 et 5.7 % au lieu des 6 % fixés par la loi. La réflexion ne doit donc pas seulement être engagée sur le financement de ces fonds mais, selon la Cour, « sur leur utilité même et le bien-fondé des principes qui sous-tendent leur action ». La question est clairement posée : leur existence reste-t-elle justifiée ?
4 recommandations
Face à ce constat préoccupant, la Cour formule quatre recommandations : redéfinir les objectifs de la politique d'insertion professionnelle des personnes handicapées à partir d'une analyse précise des besoins, déterminer le financement nécessaire de cette politique sur le long terme et fixer en conséquence les modalités de la contribution à la charge des employeurs privés et publics, évaluer l'intérêt de maintenir le Fiphfp plutôt que, par exemple, mettre en place des mécanismes d'affectation directe de crédits et, enfin, recentrer l'Agefiph sur des missions spécifiques, établies en complémentarité avec les dispositifs de droit commun. Interrogé par handicap.fr, le Fiphfp n'a pas souhaité commenter ces conclusions. Dans un communiqué, l'Agefiph « prend acte » de ces recommandations « qui nourriront utilement la démarche de transformation » qu'elle affirme avoir « d'ores et déjà engagée » dans le cadre de son plan stratégique défini en février 2017.
Un syndicat révolté
Réaction nettement plus révoltée de la CFE-CGC, qui affirmant « défendre au quotidien les personnes en situation de handicap dans le public et le privé », « soutient les actions du Fiphfp et de l'Agefiph et refuse toute fusion, absorption ou disparition de ces fonds ! ». Elle en appelle à un « vrai plan Marshall de la politique handicap dans le monde du travail ». Elle dénonce « l'estocade » donnée pour la Cour des comptes et le fait que ce rapport « ne fait pas état du fait que ces coupes budgétaires drastiques sont dues à des ponctions de l'Etat de trois fois 29 millions d'euros sur chaque fonds et des décisions unilatérales de l'Etat étranglant » les deux fonds et déplore que, in fine, ce soient les salariés et les agents en situation de handicap qui en « fassent les frais ». « Qui sera chargé d'achever la bête en plantant la puntilla ? », questionne-t-elle dans un communiqué. Peut-être l'IGAS qui doit remettre un rapport incessamment...