Handicap.fr : Le 8 octobre 2024, les salariés d'APF France handicap se mettaient en grève (APF : pourquoi les salariés se mettent en grève ?). Qu'est-il ressorti des échanges avec les représentants du personnel ?Serge Widawski, directeur général d'APF France handicap : Nous avons eu l'occasion de présenter un projet de retour à l'équilibre (PRE) à la suite de difficultés économiques intenses, liées en grande partie au fait que les conseils départementaux font défaut dans les paiements des oubliés du Ségur (Le médico-social dans la rue pour les oubliés du Ségur). Il y a plein d'autres raisons, en particulier l'inflation. Elle n'est pas couverte par les autorités de tarification (les conseils départementaux ou les agences régionales de santé).
Notons également un gros problème d'attractivité des métiers dans notre secteur. Nous avons donc eu un recours massif à l'intérim, et ça coûte très cher ! Par ailleurs, APF est une ONG avec des délégations, des défenseurs des droits dans chaque département. Cette partie-là n'est pas rattachée au médico-social sur la base d'un financement d'Etat, elle est financée par les dons et legs du grand public. Or, nous sommes soumis aux contraintes de ces marchés. De grandes causes récentes comme l'Ukraine ont beaucoup ponctionné sur les disponibilités des donateurs.
Tout ça nous met en très grande difficulté, de façon structurelle, avec un déficit record. Si on ne met pas en place de mesures correctives, celui-ci va perdurer. En 2023, il était de l'ordre de - 37 millions. En 2024, il y a certes un léger mieux parce que de petits ajustements ont été opérés mais ils demeurent insuffisants pour nous sortir de ce déficit qui nous empêche de prodiguer nos services comme avant. Nous n'avons d'autre choix que de nous lancer dans un PRE, poussés aussi par les commissaires aux comptes.
H.fr : Les syndicats dénoncent tout de même des problèmes de gestion, notamment des dépenses colossales pour financer les nouveaux centres des services du numérique (CSN) et les logiciels qui les accompagnent. Que leur répondez-vous ?
SW : Ce sont des décisions stratégiques prises au fil des années, à une époque où tout allait bien. Les centres de gestion mutualisés ont été mis en place car ils répondaient à un cahier des charges particulier, pour un déploiement à l'échelle régionale. Ça a effectivement généré des surcoûts. Il a fallu trouver des locaux, recruter des directeurs de centres…
Par ailleurs, le développement d'outils pour accélérer la gestion documentaire s'est fait de manière plus lente que prévu. Nous sommes contraints aujourd'hui de revoir cette copie, de recentrer sur un nombre beaucoup plus limité d'établissements.
H.fr : Quelles sont les solutions envisagées ?
SW : On est un peu dos au mur mais plusieurs solutions s'offrent à nous. L'un des plans d'action envisagés est un projet de réduction des effectifs des fonctions supports. Ce plan de retour à l'équilibre devrait s'étaler sur trois ans. Ce n'est pas acté, c'est un projet qui est en négociation. Ça a commencé hier, on rentre maintenant dans une phase plus « classique » de discussion d'une méthode et de ses conditions d'application. En aucun cas on ne peut encore parler de prise de décision.
H.fr : Quels sont les postes visés ?
SW : Tous les postes qui concernent les fonctions supports : administratifs, comptables, gestionnaires de paye, les fonctions RH, informatiques... On va tâcher de s'organiser autrement, en développant des outils qui permettent de fluidifier les flux d'informations, permettant de travailler autrement. L'idée, c'est de pousser à fond la dématérialisation. Toutes les entreprises ou organisations sont passées par là malheureusement. Chez APF France handicap, on n'a jamais eu en 90 ans de projets de ce type.
H.fr : Sous quelle forme cette réduction d'effectifs va-t-elle se concrétiser : licenciement, non-remplacement de postes ?
SW : On ne sait pas encore. C'est en cours de discussion. Ce sera clairement une réduction d'effectifs, entre autres, mais je rappelle qu'il y a d'autres axes. On est dans une situation inédite, avec un déficit chronique extrêmement grave qu'une association comme la nôtre ne peut pas se permettre.
H.fr : Comment se sont déroulés les échanges avec les représentants du personnel ? Houleux ? Constructifs ?
SW : Ils nous ont posé des questions tout à fait légitimes, notamment sur la prise en compte des risques psycho-sociaux, les typologies de postes que nous envisageons de réduire. La discussion a été très professionnelle, constructive. Je pense qu'ils ont compris la gravité de la situation et qu'il nous faut réagir. En tant qu'association, nous allons tout faire pour que tout se passe au mieux.
H.fr : Comment envisagez-vous l'avenir d'APF France handicap ?
SW : Je pense que les choses se tendent, les pouvoirs publics sont de plus en plus en difficulté de financement. Nous avons rencontré avant-hier Paul Christophe, ministre des Solidarités, et Charlotte Parmentier-Lecoq, ministre déléguée en charge des Personnes handicapées, pour leur exposer nos difficultés. Nous avons eu le droit à une bonne écoute de leur part. Nous avons exposé les chantiers urgents, le fait, notamment, de tenir compte d'une évolution de l'offre vers plus de domiciliation des personnes handicapées. Ainsi, il faut que l'Etat mette plus de moyens sur la table. Mais, avant tout, il faut que le financement de nos établissements soit garanti et c'est de moins en moins le cas.
Autre sujet évoqué : l'inflation. Elle doit être davantage prise en compte par les pouvoirs publics. Les ministres ont mis en priorité de trouver les solutions pour répondre à ces questions mais ils nous ont aussi rappelé les contraintes budgétaires du pays. Le Premier ministre cherche 60 milliards de réduction des budgets... Nous sommes donc dans une bagarre budgétaire, ce n'est pas gagné.
H.fr : Quelles sont les prochaines étapes des négociations ?
SW : Un accord de méthode a été négocié et un agenda programmé. Nous sommes au tout début d'un projet d'envergure. Les débats vont être permanents à partir de maintenant. Il va y avoir des discussions pendant plusieurs mois avec les syndicats pour la mise en place de cet accord de méthodologie. En tant que direction générale, on va s'assurer que les personnes soient accompagnées dans les meilleures conditions.
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APF France handicap en crise : un déficit économique inédit
37 millions d'euros de déficit rien qu'en 2023. Et ce n'est guère mieux en 2024. La situation économique d'APF France handicap est "inédite", la poussant à prendre des décisions radicales. Serge Widawski, son DG, appelle à "réagir".
"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"