Certains n'hésitent pas à expliquer que Mickaël Harpon, l'homme qui a assassiné quatre de ses collègues au sein de la préfecture de Paris le 4 octobre 2019, « n'était pas un terroriste mais une personne discriminée, habitant en banlieue et souffrant d'un handicap » et appellent même à manifester pour le soutenir. Une discrimination non encore prouvée à ce jour alors que les derniers éléments de l'enquête semblent confirmer une radicalisation du meurtrier. Ne faudrait-il pas garder un peu de discernement dans un contexte aussi dramatique ?
Des réactions trop à chaud
Si la discrimination des personnes sourdes dans toutes les composantes de la vie, et notamment en emploi, ne peut, sur le fond, être contestée, sur la forme, certaines réactions à chaud interrogent, voire indignent. Le mal-être et l'invisibilité au travail, la souffrance manifeste, expliquerait donc qu'on puisse devenir un tueur sanguinaire ? Toutes les occasions ne sont pas forcément bonnes pour se saisir de cette question sociétale pourtant majeure, qui ne concerne d'ailleurs pas seulement les personnes sourdes et les circonstances appellent à davantage de nuances. Si toutes les personnes en souffrance se mettent à tuer, nous avons de grandes raisons de trembler.
La discrimination en cause ?
La discrimination au travail a très vite été évoquée après cette tuerie. A ce moment, la motivation terroriste était écartée et certains se sont rués sur l'argument pour, si ce n'est justifier, au moins expliquer son geste. C'est le cas de la Fédération des sourds de France qui, au lendemain de la tragédie, se fend d'un long communiqué de presse au titre sans équivoque, également relayé par l'Unapeda (Union nationale des parents d'enfants déficients auditif), : « Acte de démence après 20 ans de discrimination au travail ». Ne serait-ce pas aller un peu vite en besogne ? Même si la fédération assure condamner « fermement cette violence exercée gratuitement sur des personnes innocentes », elle explique que, en dehors de l'évocation de sa radicalisation, « ses conditions de travail peuvent également être mises en cause ».
Frustrations professionnelles
« La raison de l'attitude de cet assaillant est liée à des frustrations professionnelles, explique le communiqué. « Il regrettait de ne pas pouvoir grimper davantage au sein de la hiérarchie. Depuis plusieurs mois, il réclamait un interprète en langue des signes, dans l'espoir de pouvoir évoluer vers des postes de concepteurs de réseaux ». Il poursuit : « Visiblement, le problème vient de la communication. Les salariés sourds ne peuvent pas s'exprimer librement : ils ne peuvent donc pas faire part de leur souffrance, de leur désespoir. » Le communiqué « suppose » que les « revendications répétées de ce fonctionnaire sourd n'ont pas été entendues, provoquant sa colère envers la Préfecture de Police de Paris et aboutissant à la situation brutale survenue hier ». Mais ce qui interpelle, c'est cette phrase : « L'équipe de SOS Surdus n'est pas surprise de cet incident. » Incident ? Le meurtre de quatre personnes ?
Des personnes manipulables ?
De son côté, Jérémie Boroy, lui-même-sourd et militant sur de nombreux fronts, « condamne cet attentat ignoble », assure que « le fait que Mikaël Harpon soit sourd ne change strictement rien » et insiste sur le fait qu'il ne faut « pas faire de ce cas une généralité ». Il admet cependant que les « personnes sourdes sont isolées au quotidien dans leur vie professionnelle et que rien n'est fait pour faciliter la communication avec leurs collègues ». « Alors que des solutions existent et sont disponibles, ces personnes deviennent facilement manipulables ». C'est également le constat que fait Jean Dagron, médecin et co-fondateur de consultation en langue des signes à La Salpêtrière en 1995, dans une tribune datée du 9 octobre sur Mediapart.
Des réussites concrètes
Il y dénonce un phénomène qu'il observe depuis quatre ans, le « prosélytisme islamiste qui sévit dans des milieux sourds de plusieurs régions françaises » et des prédicateurs sourds qui « débarquent dans les mosquées et regroupent des sourds », sans que les « entendants ne puissent comprendre ce qui est prêché exactement ». « Les discriminations subies, probables, sont ressassées à l'infini et transformées en fortes humiliations dont on ne guérit pas », explique-t-il et « ceux qui manquent de perspective peuvent, peut-être, se faire berner par une idéologie destructrice ». Même si, selon Jean Dagron, « les manipulations se développent de nos fragilités actuelles », Jérémie Boroy insiste sur le fait qu'aucun « amalgame entre surdité et terrorisme ne peut être toléré ». Pour mettre en exergue un « futur incarné », Jean Dagron encourage les sourds qui « occupent désormais des postes de responsabilité » à se « mobiliser », pour divulguer une « parole convaincante » et proposer des « modèles concrets ».
Réaction de l'Unapeda
Dans un communiqué du 10 octobre, l'Unapeda dit avoir relayé le communiqué de la FNS « à titre d'information », « sans que ce soit une approbation de son contenu ». Elle a également publié le texte de M. Dagron qui dénonce le prosélytisme islamiste qui sévit dans le milieu sourd, constat qu'elle « partage ». Le communiqué ajoute : « La souffrance et les frustrations des personnes sourdes sont une des raisons de l'existence de nos associations et un de nos combats permanents pour une société qui construise le bien vivre ensemble. Cependant, pour l'Unapeda, en aucun cas et d'aucune manière, la surdité de Mr Harpon ne peut justifier l'injustifiable, à savoir les crimes abominables qu'il a commis, et ce serait faire insulte à toutes les personnes sourdes que de les justifier ainsi. »