Immersion dans le quotidien éprouvant de parents d'un enfant autiste disparu dans le téléfilm Pour te retrouver, diffusé début 2022 sur M6 (article en lien ci-dessous). Cette réalité, ce n'est pas que du cinéma. En 2019, un jeune garçon autiste de 17 ans décède. En 2021, Kelyan, 22 ans, est retrouvé mort sous une tente utilisée par des consommateurs de crack dans l'Est parisien. Il s'agit de la septième victime en deux ans. Depuis début 2022, les alertes s'enchaînent, en Seine-et-Marne, près de Lyon, à Paris... Avec des issues heureusement plus favorables.
En vigueur depuis fin avril 2022
On observe une recrudescence de disparitions de personnes avec autisme et/ou présentant un trouble du développement intellectuel, certainement parce que le sujet émerge, que les medias se mobilisent davantage et que les familles n'hésitent plus à lancer des SOS, notamment par le biais d'associations dédiées. Quoi qu'il en soit, plus susceptible de se perdre, de ne pas pouvoir retrouver leur lieu de vie et ainsi de se mettre en danger, ce public appelait à une mobilisation sans précédent. Après plusieurs années de travaux (ralentis par les confinements et la crise du Covid), un dispositif dédié est lancé par la Délégation interministérielle autisme-troubles du neuro-développement (DIA), en collaboration avec le ministère de l'Intérieur et le milieu associatif. En vigueur depuis fin avril 2022, il est officialisé le 17 mai. Objectif ? « Sécuriser les personnes et rassurer les familles qui vivent dans l'angoisse d'une disparition », selon Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie autisme.
Pourquoi un risque augmenté ?
Comment expliquer ce risque accru ? Une personne autiste peut à la fois être attirée vers des lieux en relation avec un intérêt spécifique (voies de chemin de fer, plan d'eau...) ou s'échapper des chemins connus si elle subit un stress important. A ce problème s'ajoute celui d'un trouble de la communication voire, parfois, un mode d'expression uniquement non verbal. Pour une personne autiste, il peut s'avérer impossible de demander son chemin ou de se signaler comme perdu. Il est également difficile de repérer que cette personne est en difficulté à cause d'un handicap souvent invisible. Pour répondre à ces problématiques, trois actions ont été mises en place...
Une prise en charge immédiate
« Le caractère d'urgence de la mobilisation a d'abord été réaffirmé », insiste la DIA, qui assure que « lorsque les personnes sont considérées comme vulnérables, il n'y a pas de délais, la prise en charge est immédiate ». Qu'il s'agisse de mineurs ou d'adultes, les forces de l'ordre peuvent donc démarrer les recherches dès le signalement. « Très souvent, les proches commencent les recherches de leur côté et attendent la nuit tombée, inquiets, pour alerter gendarmes et policiers », constate la Délégation. Même si certains parents témoignent que leur signalement peine à être pris en compte lorsqu'il s'agit de majeurs car les forces de l'ordre n'ont pas forcément conscience de la gravité de la situation en cas d'autisme, elle insiste sur le fait qu'il « faut se manifester au plus vite ! ». « Mais beaucoup d'établissements préfèrent ne pas le faire par crainte de réprimandes des familles, et n'alertent qu'une fois qu'ils y sont tenus », tempère Jean-Philippe Piat, formateur, autiste et membre du collectif C16.
Une fiche d'informations dédiée
Pour optimiser cette prise en compte, une fiche d'informations pour les services d'urgence et d'enquête est créée, que les familles, les aidants, les établissements et les services sont invités à remplir en amont (à télécharger dans le lien ci-dessous). Relue par des associations du champ de l'autisme, elle regroupe plusieurs types d'informations : caractéristiques physiques, comportementales, habitudes et modes de communication. En cas de disparition, les proches peuvent ajouter le dernier lieu où la personne a été vue et sa tenue vestimentaire ; elle est ensuite remise aux gendarmes ou policiers qui peuvent alors « mettre en place, sans perte de temps, les recherches opérationnelles (quadrillage de zone, engagement d'une équipe cynotechnique, géolocalisation...) ».
Si elles rencontrent des difficultés pour compléter cette fiche, les familles peuvent s'adresser aux forces de l'ordre, « ce qui peut être aussi l'occasion de faire connaissance et ainsi favoriser une meilleure prise en charge le jour J », conseille la délégation. Les forces de l'ordre ont également la possibilité de mobiliser les médias locaux pour diffuser un avis de disparition. « D'autres dispositifs de saisine des médias ont été mis à l'étude mais aucun ne pouvait garantir la même réactivité et la cohérence des informations diffusées », complète la DIA.
Une fois la personne localisée, cette fiche permettra également aux gendarmes ou aux policiers d'adapter leurs interventions face à un comportement parfois « atypique ». Des informations jugées trop « simples et nettement insuffisantes pour appréhender la situation, ni même gérer convenablement l'enfant ou l'adulte autiste retrouvé », selon Jean-Philippe Piat. Les directions de la gendarmerie nationale et la police nationale ont commencé la diffusion de ces outils à tous leurs personnels à la fin du mois d'avril. Pour des questions éthiques, en aucun cas cette fiche ne doit être conservée par les forces de l'ordre, insiste la DIA ; il n'y aura donc pas constitution d'un « fichier centralisé autisme ».
Des systèmes de géolocalisation
Enfin, les familles qui le souhaitent peuvent équiper leur proche avec un système de géolocalisation (GPS, puce...). Le choix est vaste avec des centaines de fabricants ; les comparatifs de la presse spécialisée ou d'associations peuvent aider, même si la DIA consent que « des freins persistent pour que ce type d'outils soit pleinement accepté par la personne ». Certaines associations, comme Louis, Jules et Compagnie ont conçu des GPS spécialement adaptés aux personnes avec autisme ou troubles cognitifs (Alzheimer), notamment un modèle du nom d'Aladin (article en lien ci-dessous). La DIA promet de « travailler avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour permettre leur prise en charge dans le cadre de la Prestation de compensation du handicap (PCH) ».
Des associations mobilisées
Si ce nouveau dispositif permet aujourd'hui de formaliser officiellement les choses, différentes associations se sont engagées depuis plusieurs années dans la « sécurité » des personnes autistes en déployant de multiples initiatives (articles complets en lien ci-dessous). Claire Compagnon tient d'ailleurs à « saluer celles qui se mobilisent systématiquement en cas de disparition inquiétante et dont l'action a souvent été décisive pour retrouver de jeunes autistes ». En juin 2019, une concertation au sein du ministère de l'Intérieur réunissant toutes les parties avait permis de collecter leurs préconisations, « dont on a évalué la faisabilité », précise la DIA. Les associations déplorent néanmoins de ne pas avoir été associées à la poursuite du travail. En parallèle, plusieurs d'entre elles ont donc mis en place des « kits disparition » ; c'est le cas de 1 pour tous, tous pour l'autisme ou encore d'Approche globale autisme avec son « pack sécur'autisme » gratuit. Y figure une carte sécurité à imprimer, plastifier et à glisser dans la poche ou le cartable de la personne, avec une version en anglais pour ceux qui voyagent. Ce pack contient également une affichette à poser sur la vitre arrière de sa voiture, ainsi qu'une plaquette de sensibilisation destinée aux forces de l'ordre. Même engagement du côté d'Autisme Lyon qui a conçu un « kit urgences et fugues » (autocollant, livret de préconisation, coussin de sécurité) en partie confectionné par des travailleurs handicapés.
Des recherches sur le terrain
Ces associations se mobilisent également sur le terrain en cas de disparition. Avec le collectif C16, 1 pour tous, tous pour l'autisme mène également des actions récurrentes auprès des forces de l'ordre, des mairies, avec l'appui éventuel d'équipes cynophiles, dès qu'elle est alertée. L'association réclamait la mise en place d'une « Alerte disparition personne handicapée, dépendante et vulnérable » à l'instar des alertes enlèvements, solution rapidement écartée par le gouvernement au motif qu'elle ne répond pas aux critères (seulement pour les mineurs, nécessité d'une disparition avérée avec présence de témoins et de faits concordants...), avec un « vrai risque de banalisation qui aurait pu compromettre l'impact global de ce dispositif utilisé de manière exceptionnelle ». Alors, faute de mieux, 1 pour tous, tous pour l'autisme a mis en place son propre système d'alerte en s'appuyant sur la réactivité des réseaux sociaux. De son côté, Approche globale autisme fait savoir que quatorze personnes ont été retrouvées grâce au collectif secur'autisme. Peut donc mieux faire ?
D'autres actions à venir...
Pour compléter, la DIA ajoute que trois autres actions sont lancées ou en cours de construction. La première est une mise à disposition des 250 000 forces de l'ordre en France de contacts locaux (les 27 Centres de ressources autisme, associations...) pour sensibiliser et se former. « Cette sensibilisation avait débuté pendant le confinement, et nous avions travaillé avec elles afin de faciliter les contrôles et les dérogations de sorties pour les personnes autistes. Le travail continue et va prendre encore de nouvelles formes d'ici fin 2022 », rappelle Claire Compagnon. Ainsi, dans la continuité de la fiche « Comment se comporter face à une personne autiste ? », diffusée durant la crise sanitaire, une nouvelle affiche trouvera sa place sur les murs des commissariats et gendarmeries. Enfin, la délégation et le ministère de l'Intérieur ont évoqué la possibilité d'introduire dans la formation initiale et continue des forces de l'ordre un module de sensibilisation au handicap invisible dont l'autisme, sur la base de situations pratiques.