9 juillet 2021. 1h15 du matin. Kelyan, un jeune homme avec autisme de 22 ans, est retrouvé mort dans le quartier de Stalingrad, à Paris, après trois jours de recherches intensives menées essentiellement par ses proches. Son corps, froid, nu, gît dans un abri pour toxicomanes, entouré de rats. Si trois individus ont été condamnés, les circonstances de sa mort restent encore troubles (Kelyan, autiste, mort en 2021 : 3 personnes aux assises). Chaque année, des dizaines de personnes porteuses de ce trouble du neurodéveloppement disparaissent – 130 depuis l'assassinat de Kelyan, dont 17 décès. Le documentaire Vulnérables, réalisé par Tarik Ben Salah et produit par Tes vacances et Le silence des justes, leur rend hommage autant qu'il incite à agir (bande-annonce ci-contre).
« La mascotte du quartier »
Dans le 19e arrondissement, tout le monde connaissait Kelyan. C'était la mascotte du quartier. La joie et le dynamisme incarnés. Toujours souriant. Jamais méfiant. « Combien de Kelyan va-t-il falloir qu'on perde ? », s'impatiente son ancien éducateur, Daoud Tatou, co-auteur de ce film poignant de 52 minutes. Quatre ans après, il raconte cette sombre histoire pour que ce soit la dernière. À noter qu'aucune diffusion n'est, pour l'heure, prévue à la télévision, même si Tarik Ben Salah confie être en « pourparlers avec une chaîne ». Plusieurs avant-premières sont néanmoins prévues sur le territoire.
La nécessité de réduire le délai d'attente de 72h
Principale revendication du film ? Traiter les disparitions de majeurs vulnérables avec la même réactivité que celles des mineurs. « Lorsque je suis allée au commissariat, les policiers m'ont dit de revenir 48 à 72 heures plus tard pour entamer les recherches. (...) Mais je connais mon fils, il rentre tous les jours à la même heure et si ce n'est pas le cas c'est qu'il a un problème », témoigne Félicité, la mère de Kelyan. « De nombreuses personnes, signalées disparues, reviennent effectivement dans les 24 à 48 heures », explique un policier. « Mais il est crucial de mettre en place des mesures spécifiques pour les personnes vulnérables », affirme ce papa d'une fillette autiste.
Un collectif pour structurer les recherches
Daoud, qui a inspiré le personnage interprété par Reda Kateb dans Hors normes, est « en colère ». « Notre société va mal, elle ne prend pas soin de ses plus vulnérables, ni de ses aînés », déplore-t-il. Mais ce militant de la première heure n'est pas du genre à renoncer. Il compte bien faire bouger les lignes, avec ou sans l'aide du gouvernement. Au lendemain de l'assassinat de Kelyan, Daoud lance le collectif Sécur'autisme afin de structurer les recherches des personnes autistes disparues dans le 19e arrondissement. Les professionnels et les familles s'engagent, certaines célébrités aussi. Objectif ? Offrir une réponse rapide et pragmatique, en complément ou en amont de la mobilisation des forces de l'ordre.
Un GPS et une appli pour « sauver des vies »
La véritable force de frappe du collectif se trouve sur les réseaux sociaux. Les partages en masse ont permis de retrouver des dizaines de personnes. Mais Daoud veut aller plus loin... Il souhaite créer un GPS muni de fonctionnalités dédiées aux personnes autistes. « Le but n'est pas de fliquer mais de protéger ! », martèle-t-il. « Si Kelyan avait eu ça sur lui, on l'aurait retrouvé. » Une troisième version est en cours de développement mais, sans financements, impossible de la finaliser. L'homme incite le plus grand nombre à se mobiliser pour développer cette technologie, selon lui, indispensable pour sauver des vies, et pas seulement celles des personnes autistes... « Ce GPS pourrait également être utile pour retrouver celles souffrant de démence ou de la maladie d'Alzheimer », assure-t-il. Pour participer, il suffit de scanner le QR code présent sur la photo ci-dessous ou d'accéder à la cagnotte en ligne. En parallèle, Daoud et son acolyte Stéphane Benhamou, lancent, épaulés par leurs amis technophiles, une application permettant de centraliser les recherches.
Porter ce message au sommet de l'État
Et, une fois n'est pas coutume, le binôme ne s'arrête pas là... Fin mai 2023, il adresse un courrier à Emmanuel Macron afin de solliciter son aide pour développer ce dispositif, en insistant sur le fait qu'une « personne autiste sur la voie publique est particulièrement vulnérable et ne pourra certainement pas trouver des ressources comme manger, se protéger des violences diverses, demander son chemin ». Deux ans plus tard, le RDV n'a toujours pas eu lieu. Etienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, présent lors de l'avant-première du film le 23 juin 2025 au Grand Rex, à Paris, promet de leur obtenir un entretien avec le Président « d'ici à cet automne ». Rendez-vous est pris !
La nécessité d'une prise de conscience collective
En attendant, Daoud et Stéphane repartent sur le front avec de nouveaux projets, telles que des formations à l'autisme destinées aux forces de l'ordre, avec le soutien de l'Amicale de la police nationale. « Kelyan n'est pas un cas isolé, et son nom ne doit pas rejoindre la liste silencieuse des oubliés », conclut Daoud, qui espère que ce film mènera à une prise de conscience et une mobilisation collectives. Il est temps que la société, à tous ses niveaux, considère enfin ses membres les plus « vulnérables » non comme des exceptions, mais comme des priorités. Chaque minute compte, chaque vie aussi, conclut-il.
© Cassandre Rogeret
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