Dernière minute du 12 février 2021
Au terme de plus de douze heures d'échanges enflammés, l'Assemblée nationale a validé le 12 février 2021 un nouveau régime plus contraignant pour l'instruction en famille, la soumettant à une autorisation préalable de l'Etat, en lieu et place de la simple déclaration actuelle. Le texte prévoit que l'autorisation de l'IEF ne pourra être accordée que pour raison de santé, handicap, pratique artistique ou sportive, itinérance de la famille, éloignement d'un établissement, et aussi en cas de "situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif". "L'intérêt supérieur de l'enfant" devra être respecté.
Article initial du 20 janvier 2021
Certains enfants sont instruits à domicile, par choix, parfois aussi par nécessité. C'est notamment le cas de ceux en situation de handicap lorsque l'Ecole inclusive n'est pas en mesure d'apporter les réponses escomptées. Une éviction non consentie qui impose déjà de nombreuses contraintes. Alors, en 2021, le projet de loi Séparatisme et école, « confortant le respect des principes de la République » (CRPR), inquiète car il pourrait encore alourdir leur quotidien… Il a été élaboré à la suite de l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty au motif que l'Education nationale observe depuis dix ans une progression du séparatisme à travers le développement rapide de l'instruction en famille. Elle concerne globalement 0,5 % du total des élèves français, soit 62 000 à la rentrée 2020 (contre 13 500 en 2007). Le gouvernement a donc décidé de durcir les règles sur la scolarisation à domicile. Réécrit après son passage au Conseil d'Etat, l'article 21 de ce projet de loi est en débat à l'Assemblée nationale depuis le 18 janvier 2021.
La déclaration devient autorisation
Il prévoit que des dérogations soient maintenues pour raison de santé, de handicap, de pratique artistique ou sportive et, enfin, « pour des situations particulières, sous réserve que les personnes en charge de l'enfant puissent justifier de leur capacité à assurer l'instruction dans le respect de ses intérêts ». Alors pourquoi cet article fait-il débat ? Jusqu'à présent, ces familles devaient simplement déclarer l'instruction à domicile de leurs enfants en mairie et auprès de l'académie, en étant contrôlées une à deux fois par an par les inspecteurs de l'Education nationale. Cet article, qui pourrait entrer en vigueur dès la rentrée 2021, prévoit de remplacer cette « déclaration » par une « autorisation » délivrée par les académies. Certains parents d'enfants handicapés et associations, c'est le cas d'AEVE (Association autisme, espoir vers l'école), redoutent donc une procédure « lourde et incertaine » qui risque de mettre des bâtons dans les roues « de familles déjà surchargées » puisqu'elles « devront constituer un dossier chaque année ». Avec quel délai de réponse ? « Neuf mois comme c'est le cas pour obtenir un accompagnement par une aide humaine à la scolarisation ou une orientation vers un dispositif spécialisé ? », questionne de son côté l'association Toupi qui adressait fin décembre 2020 une lettre aux députés pour défendre les intérêts des élèves en situation de handicap. Serait-ce juste une démarche de plus ou un « véritable obstacle » ? Toupi redoute que l'Education nationale n'exige un avis de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), comme c'est le cas pour l'inscription au « CNED (Centre national d'enseignement à distance) réglementé », un dispositif dédié, notamment, aux enfants malades et handicapés.
Seulement en cas de scolarisation impossible ?
L'étude d'impact de ce projet de loi annonce par ailleurs que le gouvernement n'accordera la dérogation en cas de maladie ou de handicap que dans des cas limités, dans lesquels la scolarisation « serait rendue impossible », ce que dénonce AEVE qui juge que, pour certains enfants, notamment autistes, la scolarisation à « tout prix » n'est pas adaptée. « Les services du rectorat prendront en considération le projet formé par les parents et l'ensemble des critères qui leur permettront d'accorder ou non cette autorisation », déclarait néanmoins en décembre 2020 une source de Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale.
Des situations « injustes ou violentes »
Pour Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation APF France handicap, « il y a un certain nombre de situations où cette autorisation pourra être vécue de façon particulièrement violente et injuste, par exemple lorsque l'instruction en famille n'est qu'un choix par défaut lorsque l'école est loin d'être inclusive ». D'autres ont pu décider de retirer leur enfant car les adaptations et aménagements pédagogiques préconisés ne sont pas mis en place, et ce malgré un PPS (Projet personnalisé de scolarisation). « Dans ce cas, le DASEN (directeur académique) donnera-t-il son autorisation ? », questionne-t-elle. « Se pose aussi la question de la situation de la famille en attente de cette nouvelle autorisation alors qu'elle a été obligée de déscolariser son enfant, peut-être dans l'urgence, décision parfois imposée par l'établissement, par exemple une école qui refuse d'accueillir l'enfant sans AESH (accompagnant d'élève en situation de handicap) car, même si c'est illégal, cela arrive encore… », poursuit Bénédicte Kail. Sera-t-elle hors la loi ? « Quelle vexation supplémentaire va-t-on faire subir à ces familles qui non seulement voient leurs enfants rejetés des établissements scolaires mais devront aussi quémander une autorisation pour instruire à domicile ceux dont l'école ne veut pas ! », renchérit Marion Aubry, vice-présidente de Toupi.
Retour à la déclaration
Pour toutes ces raisons, les associations réclament le maintien du régime en cours, c'est-à-dire une simple déclaration, APF France handicap ajoutant : « Lorsque l'instruction à domicile est justifiée par l'état de santé ou le handicap, lorsqu'elle vient compléter une scolarisation qui n'est que partielle et lorsque les enfants sont en attente de scolarisation dans un dispositif ou une structure adaptés ». A défaut, s'il devait y avoir autorisation, elles demandent d'inverser la portée de la réponse administrative et d'imposer que le silence des services de l'Education nationale vaille « acceptation » et non pas « rejet »... Et en quinze jours maxi, revendique Toupi. En cas de refus, le seul recours serait celui du tribunal administratif, engageant de nouvelles démarches et dépenses, avec des décisions de justice pouvant aller « d'un à deux ans, période potentiellement sans solution adaptée à la situation de l'enfant », redoute AEVE.