L'école inclusive est en marche depuis 2005. Pourtant, seize ans plus tard, « les promesses non tenues engendrent incompréhensions et souffrances pour de nombreux élèves en situation de handicap et leur famille », déplore « Des moyens pour l'inclusion scolaire 13 ». Ce collectif composé d'organisations syndicales, d'associations de parents et de familles intervenant dans le champ du handicap à l'école, principalement dans les Bouches-du-Rhône, organisait une visio-conférence, le 9 février 2021, pour alerter sur une situation jugée « catastrophique », aggravée par la crise sanitaire. Elèves sans solution éducative, parents démunis, accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) surchargés... L'« inquiétude » et le désarroi vont crescendo, et l'Ecole de la confiance, promise par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale, laisse petit à petit place à celle de la « défiance », s'inquiète-t-il.
Notifications MDPH : des dysfonctionnements
Laurent Tramoni, secrétaire académique du SNES-FSU Aix-Marseille, « syndicat majoritaire des professeurs et personnels de vie scolaire », annonce la couleur en préambule : « L'Education nationale manque de moyens pour accueillir tous les élèves, a fortiori ceux avec des besoins particuliers ». « Leurs droits ne sont pas respectés, voire bafoués », enchérit Nathalie Haas de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). Problème majeur, selon eux ? Des « déperditions » entre les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui prescrivent les notifications, d'aides humaines notamment, et l'Education nationale, tenue de les mettre en œuvre. Séverine Gil, présidente de l'association MPE 13 se dit « extrêmement choquée » de l'écart entre les besoins des enfants et les moyens alloués pour les couvrir.
Pial : une initiative contre-productive ?
« En 2020, M. Blanquer nous promettait monts et merveilles avec la mise en place des Pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) », raille Laurence, AESH. Pour elle, un an plus tard, le constat est « accablant » : « Des économies sont faites au détriment de l'inclusion des élèves en situation de handicap et de leur accompagnant ». Ce dispositif qui, à l'origine, était censé réorganiser le travail des AESH pour permettre de mieux répartir et coordonner leurs interventions en fonction des besoins et des emplois du temps des élèves, est loin de faire l'unanimité au sein du collectif. « Une détérioration de l'inclusion », pour les uns, un « véritable scandale » pour les autres. Pour une écrasante majorité d'intervenants, ces pôles ont « aggravé » les conditions de travail des AESH qui accompagnent de plus en plus d'enfants (entre cinq et dix au collège) et se voient contraints de « bâcler leur travail ».
AESH : des travailleurs précaires et oubliés ?
Le syndicat SUD éducation 13 regrette également des amplitudes horaires inadaptées qui empêchent les AESH d'occuper un second emploi pour compenser un salaire « dérisoire », soit environ 700 euros par mois pour un contrat de 21h. « Dans l'utopie de l'Ecole de la confiance, il est fait mention d'un passage progressif vers des contrats de 24h à l'école primaire et 32h au collège et au lycée. Pourtant, les quotités horaires sont toujours de 21h par semaine », intervient Laurence. Pour changer la donne, SUD éducation 13 milite pour une « titularisation sans condition de ces travailleurs précaires » et mène une campagne pour leur permettre de toucher les primes REP et REP+, dont bénéficient tous les autres personnels rémunérés par l'Etat dans ces réseaux d'éducation prioritaire, à savoir des établissements où l'action éducative est renforcée afin de lutter contre l'échec scolaire. « Les AESH sont les grands oubliés des primes et du Grenelle de l'Education », déplore-t-il.
AESH mutualisé : des temps d'accompagnement divisés par deux
Autre fait « intolérable », selon eux : une réduction massive des quotas horaires imposés, principalement pour les enfants qui ont recours à un AESH mutualisé, qui prennent en charge plusieurs enfants ne requérant pas une « attention soutenue et continue ». « Nombre d'entre eux ne disposent actuellement que de 5h d'accompagnement au lieu de 10 à 12h. Un quota incompatible avec la prise en considération des besoins réels des élèves », déplore Luce Nocera, présidente de l'antenne locale de l'association Dyspraxie France dys (DFD 13), évoquant un « saupoudrage homéopathique ». Pire, selon elle, nombre d'élèves sont toujours dans l'attente d'un AESH depuis la rentrée de septembre. « Il faut lever cette dotation maximale de 5h !, exhorte Nathalie Haas qui souligne que « cette base ne relève pas d'une directive ministérielle nationale » mais bien d'une décision départementale.
Les établissements médico-sociaux surchargés
Les dysfonctionnements au niveau des décisions émises par les MDPH ne concernent pas seulement les AESH... « De multiples notifications pour des Instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (Itep), des Instituts médico-éducatifs (IME) ou encore des Services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) ne sont pas honorées faute de place », constate Virginie Akliouat, secrétaire départementale du SNUIPP FSU 13 (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et des collèges). Résultat : « Des élèves qui attendent dans des classes ordinaires ou des Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) pendant des mois, voire des années, sans pouvoir bénéficier de l'aide dont ils ont besoin et qui leur a pourtant été reconnue », constate-elle. Selon cette militante, « c'est un très gros problème que cherche à camoufler l'Education nationale par des biais détournés en mettant la responsabilité sur les enseignants et les AESH ».
Halte aux paroles, place aux actes !
Face à ces constats « inquiétants », le collectif « Des moyens pour l'inclusion scolaire 13 » réclame tout d'abord un recrutement massif d'AESH. « 308 sont annoncés à la rentrée prochaine mais c'est insuffisant pour faire face aux besoins », assure-t-il. Autres requêtes : une organisation plus respectueuse de la qualité de travail des AESH qui méritent, de surcroît, un « vrai statut », mais aussi la création d'un service dédié à l'inclusion scolaire au sein des établissements, une formation effective des enseignants au sein des écoles ordinaires mais aussi des structures spécialisées ainsi que des notifications MDPH « honorées à la hauteur des besoins ». « L'accès à une scolarité de qualité et adaptée est un enjeu démocratique fondamental pour tous les enfants », plaide-t-il. « Les paroles doivent se transformer en actes et ne pas rester vaines », enjoint Franck Delétraz de l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa), qui déplore « un manque d'ambition politique sur le sujet de l'inclusion ». Pour Cathy Piasco, de l'association Avenir dysphasie Provence (AAD Pce), il s'agit d'un investissement sur le long terme. « Les enfants déscolarisés ou sortis du système éducatif sans formation professionnelle deviendront bientôt des adultes qui frapperont à la porte des missions locales, notamment, conclut-elle. Le poids de ce que nous ne faisons pas aujourd'hui pèsera, tôt ou tard, sur un autre budget, à savoir l'accompagnement en emploi de ces jeunes adultes au sein d'une société dans laquelle ils peinent à trouver leur place... »