Jean-François Trogrlic, directeur du bureau de l'OIT (Organisation internationale du travail) pour la France, faisait un jour remarquer qu'il n'y avait aucune personne handicapée à la direction du budget. « Mais c'est une direction d'élite ! lui a-t-on répondu ». Symptomatique ! Dans la sphère professionnelle, handicap rime encore trop souvent avec incompétence. C'est sur cette vaste question que s'est penché l'Agefiph. Un sondage IFOP, réalisé à l'occasion des 25 ans de ce fonds, a mobilisé 400 managers (dirigeant une entreprise de 20 salariés et plus) et 1000 salariés du privé. Son ambition ? Mesurer la vision sur les travailleurs handicapés en entreprise.
Vision caricaturale
Le premier enseignement de cette étude, c'est que les deux parties conservent une vision très caricaturale du handicap, alors même que 65 % des managers sondés disent employer une personne handicapée au moment de l'enquête. On note une tendance manifeste à surévaluer la part de la déficience physique (une personne handicapée étant majoritairement en fauteuil roulant ou atteinte de sclérose en plaques !) par rapport au handicap psychique (seulement 27 % des chefs d'entreprise et 22 % des salariés considèrent que la dépression est un handicap). Il y a peut-être urgence à cesser de communiquer sur des typologies de handicap qui ne font qu'accentuer les stéréotypes. Préférer un message global en faveur de la diversité...
Courageuses mais improductives
On constate également une ambivalence sur l'image des personnes handicapées. On les imagine courageuses mais néanmoins improductives, à cause de leur lenteur et de leur fragilité supposées. La grande majorité des sondés a encore du mal à concevoir un lien légitime entre personne handicapée et emploi. 6 % seulement des termes employés concernent la notion de travail, les autres renvoyant à l'aspect médical, la déficience, la compensation... Alors même que cette étude est conduite avec un prisme professionnel ! Ces idées-reçues sont des freins majeurs à l'inclusion des personnes handicapées dans le monde du travail. Or, il suffit souvent de franchir ce cap pour briser les réticences. L'effet bénéfique de l'expérience semble indéniable, et constitue le point de départ d'un cercle vertueux !
Le vent de l'Histoire...
Selon Thierry Calvat, directeur d'Inédiction, cabinet de conseil en innovation sociale dédié au management de la fragilité en entreprise : « Il faut accompagner les entreprises dans le management de ceux qu'on considère comme vulnérables : les personnes malades, vieillissantes ou handicapées... Elles se retrouvent inadaptées dans un monde régi par le « normal ». Elles représentent un univers de contraintes alors que l'entreprise veut être un lieu d'absence de freins où l'on vise la rentabilité, la productivité. La plupart d'entre elles sont fondées sur le modèle du haut potentiel : 20 % des employés assurent 80 % de la rentabilité. Alors elles investissent en priorité sur ce haut potentiel, et le reste est géré à la marge. Pourtant, le vent de l'Histoire va dans le sens d'une meilleure prise en compte du handicap puisqu'on constate qu'il y a de plus en plus de personnes fragiles au sens large. D'autant que les hauts potentiels sont de plus en plus coûteux à garder et à séduire. »
S'adapter, c'est leur credo !
Quel plan de com sera assez audacieux pour faire changer la représentation du handicap dans l'entreprise quand elle est aujourd'hui le plus souvent synonyme de dépendance ? « Il faut rassurer les managers et les équipes qui n'ont jamais été confrontés au handicap, explique Philippe Croizon qui, connu pour ses exploits de nageur hors-pair, est également consultant en entreprise. Tous passent par un premier moment de frayeur : « Il ne va pas être compétent... Je vais devoir faire le boulot à sa place ! » Et de mentionner le cas d'une équipe qui menaçait de faire grève si on embauchait une infirmière amputée. Le milieu hospitalier, apte à soulager le handicap mais surtout pas à le côtoyer en tant que pair ? Or, il est important de rappeler que les personnes handicapées le sont majoritairement à la suite d'un accident en cours de vie, et ont appris, plus que tout autre, à s'adapter. Or s'adapter, c'est justement le grand défi des entreprises. Selon Jean-François Trogrlic, « en France, il faudrait faire en sorte que la personne handicapée soit explicitement citée dans le projet de responsabilité sociale de l'entreprise. Jusqu'à devenir un objet de non-discrimination ».
Une sensibilisation à la racine
La tâche est encore rude pour former les managers à accueillir la différence. Certains s'y emploient. C'est le cas de Thierry Sibieude, professeur à l'ESSEC, initiateur du programme PHARES destiné à favoriser l'inclusion des étudiants handicapés au sein de cette grande école de commerce. Au-delà des perspectives d'emploi pour ces candidats, la démarche est plus ambitieuse. « En confrontant ces managers de demain à leurs camarades handicapés, explique-t-il, on peut espérer, lorsqu'ils seront en situation d'embauche, qu'ils liront leur CV avec bienveillance. Cette implication vaut d'ailleurs dès l'école primaire ». Et de clamer qu'à ce titre l'Agefiph devrait, également, être « terriblement concernée par la formation des AVS ». S'il est un constat qui fait l'unanimité, c'est bien l'idée que cet engagement-là doit être pris à la racine...
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Travailleurs handicapés : un sondage au goût de caricature !
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