Peut-on imaginer des labos dans les grandes écoles de commerce françaises qui auraient pour spécialité «emploi et handicap» ? Des experts qui proposeraient de nouvelles pistes sur le plan marketing, en termes de système d'organisation et de stratégie… On ressasse que l'emploi des personnes handicapées est dans l'impasse, leur taux de chômage galopant (22%) et les entreprises désarmées mais quels économistes se préoccupent vraiment de ce domaine qui concerne, au bas mot, 2,5 millions de Français ?
Une aberration sociale
C'est le constat dressé par Bachir Kerroumi, chef de mission veille et conjoncture économique à la mairie de Paris. Ingénieur de recherche, lui-même aveugle, il milite pour l'inclusion des personnes handicapées dans le monde du travail. Il prenait la parole le 19 mars 2015 à l'occasion d'une conférence organisée par la Firah à Nanterre. Cette fondation présidée par le généticien Axel Kahn a pour objectif, depuis 2009, de financer des projets internationaux de recherche appliquée sur le handicap, c'est-à-dire des produits et services qui sont en mesure d'améliorer très concrètement le quotidien des personnes handicapées. Et, dans ce domaine, l'emploi n'est pas un luxe ! Selon Bachir Kerroumi, «la mission de la Firah constitue une bonne voie car la France est engluée dans un modèle médical du handicap alors qu'il faut viser un modèle social.» Le ministre du travail, François Rebsamen, est le premier à dénoncer «un gâchis économique et une aberration sociale».
Des lois pourtant solides
La loi handicap de 2005 et d'autres consœurs auparavant (1975 et 1987) ont pourtant posé de solides jalons pour favoriser l'emploi des travailleurs handicapés. Des textes bien ficelés, pleins de promesses, mais qui se heurtent à la (dure ?) réalité du marché. «Or il n'existe, en France, aucune recherche sous l'angle économique, poursuit Bachir. C'est surtout un travail sociologique, et les économistes ont déserté. Alors comment voulez-vous développer leur emploi dans ces circonstances ? A HEC ou à l'ESSEC, voyez-vous des étudiants plancher sur l'organisation du travail et la façon de rendre les postes plus productifs ? Nous ne sommes que deux ou trois en France à travailler sur cette question.»
Et à l'étranger ?
Le mal serait-il franco-français ? Bachir Kerroumi a mené, en 2014, une étude comparative «emploi et handicap» dans trois pays : États-Unis, Grande-Bretagne et Italie. Pour ce dernier, la situation, difficile, s'avère assez proche du modèle français. Mais, dans les deux autres, il existe un vaste panel de recherches et d'articles menés par des historiens, des philosophes et des économistes, notamment au sein de l'université de Stanford en Californie. « En Grande-Bretagne, poursuit Bachir, sur les 12 millions de personnes handicapées, 3 millions occupent un emploi à temps plein, alors même qu'il n'existe aucune loi coercitive comme en France. Cela vient, entre autres, de la richesse des travaux menés sur cette question mais aussi d'une inclusion des élèves handicapés bien plus généralisée que dans notre pays.»
Aider les entreprises
«Il y a du boulot, et la Firah n'y suffira pas !, s'exclame-t-il ». Alors que faire ? En priorité mobiliser des écoles référentes comme HEC ou l'université de Paris Dauphine pour les inciter à lancer des travaux de recherche sur cette thématique. Selon lui, les missions handicap des entreprises françaises soumises à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (le fameux quota de 6%) n'ont, pour le moment, aucun outil pour mener à bien les accords conclus avec l'Agefiph (Fonds pour l'emploi des personnes handicapées dans le privé). « Les moyens ne manquent pas et nos grandes écoles pourraient aisément trouver des financements auprès de ces entreprises qui sont en demande de solutions et de stratégies. » Confiant, Bachir Kerroumi est certain qu'on pourrait envisager des résultats intéressants en moins de cinq ans, notamment capables de rendre de grands services aux cadres des structures de formation souvent démunis face à un public qu'ils ne connaissent pas. En Grande-Bretagne, il existe des « spécialistes de la pédagogie de l'inclusion » ; un vrai diplôme, bac +3. Neuf cents postes ont ainsi été créés pour soutenir les professionnels mais également les étudiants.
Un vivier bankable ?
Alors, certes, en France, des reformes sont en cours, notamment celle de la formation professionnelle, qui est entrée en vigueur au 1er janvier 2015 (article en lien ci-dessous). Certes, un tout nouveau diplôme « DIU Référent(e) handicap » est lancé en janvier 2015 pour professionnaliser les métiers de la gestion de la politique du handicap (article en lien). Mais n'aurait-on pas tout intérêt à confier, aussi, ce sujet à des experts de l'économie de marché, de la productivité et du capitalisme qui feraient de l'emploi et handicap un vivier « bankable » ?
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