En 2017, l'Education nationale embauchait 35 914 agents en situation de handicap, plus 5 513 dans l'enseignement supérieur. Soit un taux d'emploi de travailleurs handicapés de 3,62 %, loin des 6 % que doivent respecter les employeurs assujettis. Epargné jusqu'alors, ce ministère va d'ailleurs bientôt devoir contribuer au Fiphfp (Fonds dédié à la fonction publique). Si la prise en charge des élèves handicapés est régulièrement au cœur des préoccupations, les professeurs et autres personnels en situation de handicap de l'institution semblent laissés pour compte... « Depuis la loi de 2005 'Pour l'égalité des droits et des chances', des moyens financiers et humains ont été mobilisés pour favoriser le recrutement et l'activité professionnelle » de ces agents, affirme Catherine Becchetti-Bizot, médiatrice de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur, le 27 juin 2019, lors de la remise de son rapport annuel. Pourtant, « plusieurs centaines de saisines » lui parviennent encore chaque année, à ce sujet. Peut mieux faire ?
Effort d'adaptation continu
Incompréhension devant un refus d'allègement de poste ou de bonification de barème pour une affectation ou une mutation, frustration face à des mesures prises trop tardivement ou qui ne répondent pas vraiment à leurs besoins, crainte à se déclarer handicapé... Les difficultés du personnel en situation de handicap reflètent une grande diversité de situations (handicap visible, invisible...), appelant des réponses parfois « complexes et difficilement compatibles », estime la médiatrice. Pour eux, « l'effort d'adaptation doit être continu et chaque changement peut être extrêmement douloureux », poursuit-elle. Certains expriment aussi leur épuisement devant la lourdeur des procédures, les démarches devant être renouvelées annuellement. Elles peuvent relever du parcours du combattant, a fortiori lorsque l'agent se heurte à l'absence d'un médecin de prévention ou à son indisponibilité. A ce titre, la médiatrice souhaite alerter sur « un manque de suivi médical » lié à la pénurie de médecins. Pour tenter de changer la donne, elle prône un traitement individualisé pour tous les actes de gestion. Elle recommande également la mise en place d'une équipe pluridisciplinaire, la création d'un document pérenne, mélange du carnet de santé et du PPS (Projet personnalisé de scolarisation) et la création d'un coffre-fort numérique sécurisé qui contiendrait le dossier personnel de l'agent.
L'entrée dans la carrière
L'Education nationale et l'enseignement supérieur recrutent majoritairement des cadres A, de niveau master, qui exercent face à des élèves ou à des étudiants, et sont soumis à des emplois du temps s'insérant dans un ensemble plus large d'obligations imposées par l'établissement scolaire ou universitaire. « Les préconisations de médecins se révèlent souvent inadaptées à la réalité du poste », pointe le rapport. L'Education nationale affirme « mener une véritable politique de recrutement des personnes en situation de handicap », via deux voies, celle du concours et la contractuelle qui, selon la médiatrice, mérite d'être « développée ». Ce mode de recrutement, qui s'effectue sur dossier et entretien, est particulièrement apprécié par les bénéficiaires de l'obligation d'emploi. « Est-il connu, suffisamment ouvert ? », s'interroge-t-elle. Par ailleurs, le stage peut se révéler décourageant pour les personnes en situation de handicap. La médiatrice propose, par exemple, pour celles recrutées par la voie du concours, de répartir sur deux ans la réalisation du stage, ainsi que le développement de modalités adaptées comme la téléconférence afin de réduire au maximum les déplacements.
Améliorer l'accessibilité
« Je bénéficie d'une RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) grâce à laquelle j'ai pu obtenir un aménagement de poste avec un matériel de pointe. Malheureusement, malgré plusieurs demandes, je n'ai jamais pu faire de formation me permettant de l'utiliser », déplore un professeur de collège. « Nos administrations peinent encore à mettre en place les mesures d'accessibilité des locaux nécessaires », admet la médiatrice. Actuellement, l'Education nationale compte 681 APSH (Accompagnants de personnel en situation de handicap), dont 591 qui travaillent avec des enseignants. « Mais peu de personnes ont une appétence pour de telles fonctions », observe le rapport. En matière d'aménagement de poste, le médiateur est essentiellement sollicité par des professeurs du second degré. Ils peuvent notamment bénéficier, en cas d'altération de leur état de santé, d'un temps partiel rémunéré à taux plein. Mais ce « privilège » est réservé aux seuls enseignants. En cas d'impossibilité d'adaptation, les fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps, à condition d'avoir été déclaré en mesure de remplir les fonctions correspondantes. Pour Catherine Becchetti-Bizot, « développer un vrai projet de seconde carrière » est un enjeu majeur.
Sensibilisation nécessaire
Enfin, selon elle, le changement de regard est essentiel pour favoriser un « environnement inclusif », a fortiori en cas de handicap psychique, « sans doute le moins compris et le moins admis ». Pour ce faire, la médiatrice préconise de mettre en place un groupe de travail avec des médecins de prévention et des directeurs de ressources humaines, afin de réfléchir à l'amélioration de leurs conditions d'accueil, de travail et d'acceptation par l'entourage professionnel. Elle recommande également d'amplifier les campagnes annuelles d'information et de sensibilisation des personnels de l'Education nationale et de leurs représentants pour expliquer la diversité des handicaps et que les aménagements qui en découlent ne sont pas des « avantages » mais des « compensations ». Par ailleurs, ces mesures peuvent avoir « des effets bénéfiques pour l'ensemble des agents et l'organisation et le fonctionnement du système éducatif », souligne-t-elle. Autre proposition : créer des postes « protégés », sans contact avec le public, pour accueillir des agents qui développent des troubles psychiques au cours de leur carrière.
Le numérique et le harcèlement au travail
Sur 200 pages, 56 sont ainsi consacrées à l'amélioration des conditions de travail et du recrutement des personnels en situation de handicap. Deux autres thèmes sont également traités : « L'administration numérique, comment simplifier les démarches sans accentuer les inégalités ? » et le harcèlement au travail, qui sera davantage développé dans le prochain rapport. Ces thématiques font particulièrement écho au quotidien des personnes handicapées, comme le montre les différents rapports du Défenseur des droits sur les discriminations et les limites d'une administration 100 % numérique (articles en lien ci-dessous).