Si plus d'un Français sur deux se déclare concerné de près ou de loin par une maladie mentale, elle reste associée à la notion de dangerosité pour 74% des Français. Deux enquêtes Ipsos-FondaMental menées en 2009 et 2014 rappellent le poids délétère des représentations sociales sur le handicap psychique. Et chez les jeunes ?
À destination des jeunes
Face à ce constat, le web documentaire Epsykoi propose de déconstruire les idées reçues sur la psychiatrie pour aider au repérage et à la prise en charge précoce de ces troubles afin de faciliter l'accès rapide aux soins des jeunes malades. La trentaine de films conçue par l'association Solidarité Réhabilitation avec, notamment, le soutien de la Fondation FondaMental, répond aux questions suivantes : vivre une vie accomplie avec un trouble psychique est-il possible, comment reconnaître les signes avant-coureurs, cela peut-il nous arriver, que faire si l'on est concerné ? Ce support multimédia et interactif mêle témoignages, fictions, animations et paroles d'experts. Une porte d'entrée inédite et destigmatisante, traitée parfois avec humour, notamment dans La déprime en animation (vidéo ci-dessous) qui dresse le portrait de l'ado type.
Un accès aux soins précoce
Trois psychologues rattachées à des services de psychiatrie adultes de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et impliquées au sein de l'association Solidarité Réhabilitation déplorent le retard dans l'accès aux soins de nombreux jeunes patients et l'absence de prise en charge médicale qui en découle. Elles ont donc décidé d'agir en s'attaquant aux deux principaux obstacles : la méconnaissance des signaux d'alerte et la stigmatisation des maladies mentales et de la psychiatrie. « En février 2015, nous revenions d'expériences passées à l'étranger et nous souhaitions changer les choses dans notre pays, expliquent-elles. Nous voulions dire aux jeunes et à toute personne concernée que la souffrance mentale n'est pas une fatalité, pas une honte non plus, qu'elle est courante et qu'il existe des moyens d'aller mieux ! »
Quels signes avant-coureurs ?
C'est ainsi que l'aventure Epsykoi est né. Quatre grandes familles de signes avant-coureurs de maladie mentale sont évoquées : l'angoisse, la déprime, les addictions et le sentiment de persécution. Chaque famille de symptôme s'appuie sur le portrait d'un jeune vivant avec ces difficultés, le témoignage d'un proche, un film d'animation définissant les troubles, une courte fiction illustrant le thème et le regard d'un professionnel de santé insistant sur son métier et les moyens d'aider. Deux portraits de personnes vivant avec une maladie mentale ont été ajoutés ; ils vivent bien et sont heureux, l'expérience de la maladie ne fait pas d'eux des êtres différents.
Sensibiliser les lycéens
La sensibilisation des jeunes, public à risque, est un enjeu de premier ordre. Pour le Pr Christophe Lançon, chef de service de psychiatrie au sein de l'AP-HM et président de l'association Solidarité Réhabilitation, « ce web documentaire est une première étape et nous souhaitons l'utiliser comme outil de sensibilisation lors d'intervention dans les lycées marseillais à la rentrée 2018. Si l'on veut améliorer les prises en charge, il nous faut faire la chasse aux caricatures et aux préjugés. Il n'y a pas « eux » et « nous ». ». Rappelons que les troubles psychiatriques touchent une personne sur quatre au cours de la vie, selon l'Organisation mondiale de la santé. Les jeunes représentent une population particulièrement à risque car l'entrée dans la plupart des troubles se situe entre 15 et 25 ans. Le constat est jugé « alarmant » et on observe un « retard accablant entre la déclaration de la maladie et la mise en place d'une prise en charge médicale adaptée », précise un communiqué. Evalué à deux ans pour les schizophrénies, ce délai s'allonge à près de dix dans le cas des troubles bipolaires.
Risque accru de suicides
La situation est d'autant plus critique que de nombreux travaux de recherche récents ont démontré qu'un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée sont associés à une meilleure réponse au traitement, ainsi qu'à des taux accrus de rémission et de réinsertion sociale à long terme. Dans le cas contraire, c'est une « perte de chance » pour les personnes concernées. Un trouble non-traité présente un risque accru de devenir sévère et résistant et, dans ces circonstances, dans plus de 10% des cas, les jeunes atteints d'une maladie mentale se suicident. La méconnaissance et une forte stigmatisation constituent les obstacles les plus redoutables à un accès aux soins précoces. En effet, les signes avant-coureurs des troubles psychiatriques, appelés prodromes, passent souvent inaperçus ; les jeunes comme leurs proches ont alors tendance à banaliser ou négliger les premiers signes. Enfin, la peur qu'inspirent la psychiatrie et les maladies psychiatriques alimente le déni des premiers troubles.