« Je suis en plein désarroi, dans l'attente du renouvellement de mon fauteuil roulant électrique. » Béatrice a envoyé sa demande d'entente préalable il y a plus d'un mois. Ne voyant pas revenir de réponse négative au bout de quinze jours, elle en a déduit que la transaction avait été acceptée par le service dédié de la CPAM (caisse primaire d'assurance maladie). Grave erreur ! Les services répondent aux abonnés absents et les dossiers s'amoncellent sur des bureaux restés vides depuis le début du confinement. Béatrice redoute de devoir attendre des mois encore alors que son fauteuil actuel lui joue des tours et compromet son autonomie. Le cas de cette jeune femme n'est malheureusement pas isolé. Face à l'urgence, les représentants des prestataires de santé à domicile (PSAD), qui fournissent les aides techniques et services, alertent Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, sur des conséquences jugées « dramatiques » pour les personnes en situation de handicap… et le secteur !
Un retard inquiétant
25 000, c'est par exemple le nombre de fauteuils roulants qui n'auront pas été prescrits durant le confinement mais cette pénurie impacte également d'autres dispositifs. « Depuis le début de la crise sanitaire, toutes les activités d'évaluation des besoins des personnes ont été suspendues, ne permettant plus aucune prescription ni constitution de dossier de demande de prise en charge », déplore le collectif. Des équipements jugés « essentiels » qui « jouent de surcroît un rôle clef dans la diminution des risques de comorbidités induites de l'absence de mobilité (escarres, etc…) ». Le 11 mai, ce seront deux mois perdus. Comment espérer rattraper ce retard ? « Avec les contraintes administratives particulièrement lourdes et le nombre insuffisant de professionnels », les délais vont « s'allonger grandement », prévient le collectif. Ce dernier a alerté depuis plusieurs semaines déjà la CNAM (caisse nationale d'assurance maladie) et la cellule interministérielle Covid sur les conséquences « délétères » de cette situation. Un décret pour alléger certaines contraintes est en attente de signature mais ne suffira certainement pas à faire face à une problématique qui s'annonce « catastrophique »… Le point en détails avec Sylvie Proust, administratrice de la Fédé PSAD et directrice générale de l'entreprise Harmonie médical service.
Handicap.fr : Pourquoi les demandes d'entente préalable restent-elles lettre-morte auprès des CPAM ?
Sylvie Proust : Une petite mise au point sur la procédure à suivre... Pour la délivrance des fauteuils électriques et des réparations, une demande d'entente préalable est nécessaire. On envoie tout le dossier à la CPAM, et la règle veut qu'à défaut de réponse sous quinze jours elle soit « positive ». C'est alors seulement que nous pouvons lancer la commande. Or nous ignorions le fait que les CPAM n'allaient soudainement plus appliquer cette règle. Courant mars, un agent de l'une d'entre elles -ils sont très peu à venir encore travailler- a pris soin de nous prévenir que les demandes n'étaient plus traitées. La règle des quinze jours ne vaut donc plus rien, tout est en suspens.
H.fr : Quelle incidence pour vos usagers ?
SP : De nombreuses personnes se sont retrouvées avec des fauteuils en panne non réparés ou dans l'obligation d'avancer les frais et de prendre le risque d'essuyer ensuite un refus de prise en charge. Pour les aider, nous prêtons des fauteuils à ceux qui ne disposent pas de l'accord de réparation. C'est un nouveau délai qui vient s'ajouter au délai déjà important du parcours d'acquisition d'un fauteuil, qui peut prendre de plusieurs mois à plus d'un an. Nous avons également fait des réparations mais en prenant un risque financier, pour nous et pour l'assuré, sans savoir si nous serions dédommagés.
H.fr : Tout est au point mort depuis deux mois... Avez-vous bon espoir que les affaires reprennent avec le déconfinement annoncé du 11 mai ?
SP : Les CPAM devraient normalement reprendre leur activité à cette date et ainsi traiter les ententes préalables. Mais, avec cet arrêt total, nous n'avons aucune visibilité en termes de délai. Le plus triste, c'est que lorsque nous avons eu connaissance de cette situation, nous avons invité la CNAM à prendre une mesure pour que cette règle de traitement des ententes préalables reste en vigueur durant le confinement. Après un avis favorable de leur part, un décret a été rédigé mais n'a toujours pas été signé. Depuis quatre semaines, c'est scandaleux !
H.fr : Et qu'en est-il de la délivrance d'un certificat de validation ? A l'arrêt aussi ?
SP : C'est un autre sujet très inquiétant… Dans le parcours d'acquisition d'un fauteuil roulant électrique, une étape concerne la délivrance de ce certificat par une équipe pluridisciplinaire et un médecin de rééducation fonctionnelle. Le parcours était déjà compliqué parce car les délais pour obtenir un rendez-vous sont très longs. Certaines régions sont même dépourvues de médecin qui acceptent de faire ces validations. Ce goulot d'étranglement était déjà un vrai sujet de préoccupation avant la crise. Or, avec le confinement, tous les rendez-vous ont été annulés, parce que nous ne sommes plus en mesure d'aller dans les centres ni de rencontrer les patients. Certains étaient planifiés depuis des mois et il va falloir maintenant trouver d'autres créneaux. Mais dans combien de temps, sachant qu'ils viendront s'ajouter à ceux des nouveaux patients ? Les délais d'attribution de fauteuils seront probablement allongés de six mois. A ce titre, il nous paraît donc urgent d'obtenir la suppression de ce certificat de validation.
H.fr : Avez-vous obtenu une réponse à ce sujet ?
SP : Aucune. Notre leitmotiv : dans beaucoup de cas, ces parcours d'acquisition ont été fait en amont, avec l'accompagnement d'un ergothérapeute (libéral ou rallié à un centre de rééducation) et d'une équipe pluridisciplinaire qui pourrait permettre de se dispenser de ce certificat. On ne part pas de rien ! En plus, nous venons d'apprendre que certains centres de rééducation, notamment hospitaliers, qui permettaient, via une consultation de jour, de délivrer ces certificats de validation, sont en train de se repositionner pour accueillir des patients post-covid. Ils ne reprendront donc certainement pas leur activité de validation avant la rentrée de septembre.
H.fr : Vous réclamez également une délégation de prescription aux ergothérapeutes et kinésithérapeutes, quel est l'objectif ?
SP : Jusqu'à maintenant, les médecins généralistes ou spécialistes rédigeaient ces prescriptions notamment pour l'achat d'un fauteuil roulant mais, très souvent, sur les recommandations d'un ergothérapeute. Nous souhaitons supprimer cette étape, encore une fois pour raccourcir les délais d'attribution. Je ne pense pas que l'on obtiendra cette mesure mais notre ambition est de poser des jalons. Cette revendication est accentuée par la crise mais vaut aussi en temps normal.
H.fr : Quels sont les retours des usagers ?
SP : Les personnes qui sont dans l'attente d'un renouvellement de fauteuil en cas de problème technique ou d'inadaptation aux besoins peuvent éventuellement utiliser leur ancien fauteuil. Les situations les plus compliquées restent pour les premières acquisitions (patients paraplégiques ou atteints de maladies neuromusculaires...).
H.fr : Avez-vous également reçu des demandes de patients touchés par le covid-19, dans une situation de très grande fragilité, qui ont besoin de matériel adapté ?
SP : En effet, depuis deux semaines, nous sommes sollicités pour équiper des patients en post-covid mais avec des produits moins techniques que le fauteuil roulant. Leur profil : des personnes plutôt âgées, très affaiblies, avec des besoins de prévention d'escarres ou d'aide à la marche. Pendant la crise, nous avons été très sollicités à ce sujet, à la fois parce que les patients étaient dans un état très dégradé mais aussi à cause de défauts de soin ou de nursing.
H.fr : Avez-vous dû faire face à des difficultés pour assurer la continuité de votre activité ?
SP : En ce qui concerne Harmonie médical service, nous avons maintenu une activité sur tous nos sites, avec une équipe minimum pour assurer le dépannage et le service après-vente de nos clients. Mais ce n'est peut-être pas représentatif de la majorité des entreprises du secteur. Les petits indépendants qui exerçaient exclusivement dans le domaine du handicap ont dû mettre tous leurs salariés au chômage technique. Ce sont eux, déjà fragilisés, qui vont le plus souffrir. De même, tous nos conseillers chargés de concrétiser les aides techniques des personnes handicapées sont en chômage durant le confinement. Après deux mois sans vente, les PSAD qui délivrent les fauteuils roulants sont économiquement anéantis. Nous n'avons même pas pu livrer le matériel que nous avions reçu soit parce que beaucoup de patients refusaient de nous ouvrir leur porte par peur d'être contaminés, et on peut le comprendre, soit parce que les centres de rééducation avaient fermé. Cette situation économique extrêmement difficile va se poursuivre à la reprise à cause d'une inertie au démarrage qu'on ne maîtrise pas.
H.fr : Des craintes pour l'avenir ?
SP : Nous devons faire face à une grande inconnue, la façon dont tout le système de prise en charge autour du patient handicapé va se réamorcer. Car il est clair que tout ne se remettra pas à fonctionner comme auparavant. Nous allons être obligés de réglementer l'accès au service, le nombre de patients traités et le nombre de personnes qui pourront être accompagnées dans l'acquisition d'un fauteuil par exemple... Dans cette crise, on a complétement abandonné les personnes handicapées.