Le moins qu'on puisse dire, c'est que le rapport de l'ONU (en lien ci-dessous) rendu le 14 septembre 2021 faisant un état des lieux de la politique handicap menée par la France laisse à certains un goût amer (article en lien ci-dessous). C'est plus particulièrement la désinstitutionalisation, à la fois des enfants et des adultes, qui est au cœur des crispations.
Une position très ferme
Depuis 2017 déjà, le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU s'est prononcé de manière très catégorique en faveur de la « fermeture de tous les établissements », y compris des « ateliers protégés » (ESAT) et des « classes spécialisées au sein de l'école ordinaire ». Un modèle médico-social historique qui, il est vrai, a façonné depuis des décennies l'exception à la française. Il dénonce « une législation et des politiques publiques fondées sur le modèle médical et des approches paternalistes du handicap », ainsi que des « milieux ségrégués » et invite donc notre pays à se mettre en conformité avec la Convention internationale des droits des personnes handicapées, en respectant un modèle fondé sur les droits de l'Homme. Même si cette convention n'impose aucune contrainte, elle donne un cap que notre pays va devoir suivre...
Vers la mue du médico-social ?
En France, de nombreuses voix encouragent en effet le médico-social à faire sa mue. Le gouvernement, après lecture des recommandations onusiennes, dit avoir « conscience qu'il doit accélérer l'évolution de l'offre de services qui permette à chacun de disposer encore plus de ce libre choix », tout comme le Collectif Handicaps, qui rassemble une cinquantaine d'associations, pour qui il devient « indispensable d'accélérer » cette « transformation ». De son côté, la fédération générale des PEP se dit « convaincue que les dispositifs d'accompagnement nés dans les années 70 doivent être repensés au travers de solutions innovantes ». Ils appellent à une mobilisation réunissant tous les acteurs pour, bientôt, changer la donne...
Mais d'autres réactions s'avèrent bien moins complaisantes. OK sur le principe mais, pour certains publics, on fait comment ? L'Unapei (association de familles de personnes avec un handicap mental) déplore une « vision caricaturale des établissements et une occasion manquée d'aider à leur transformation », même si elle admet que, dans certaines structures, la « liberté » des personnes en situation de handicap peut être « limitée ». Mais pas de-là à mettre tout le système dans le même panier...
Une attaque trop frontale ?
L'Unapei regrette que ce rapport « s'attaque frontalement aux établissements, sans prise en compte de la parole des personnes en situation de handicap qui ont besoin d'un accompagnement continu et de leurs aidants familiaux ». Or l'association rappelle que, dans son réseau, « bon nombre font appel à des aides humaines 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ». Elle insiste également sur le fait que les établissements et services ont été créés par les personnes en situation de handicap elles-mêmes et leurs proches, « justement pour pallier les carences de l'Etat, dont les politiques publiques ne prenaient pas en compte les besoins et aspirations ». Elle évoque les prestations d'accueil récemment créées qui proposent des partenariats avec les dispositifs de droit commun et « mettent les souhaits de la personne au centre ». « On peut être chez soi, sans vouloir être seul », insiste-t-elle, défendant le fait qu'une structure peut être « inclusive » et qu'un « mode de vie collectif peut être respectueux des libertés ordinaires ». Tout serait donc question de choix...
Pour autant, pour « rendre ce choix effectif », l'Unapei en appelle aux «politiques publiques ». Selon elle, « les établissements ne peuvent se transformer seuls. De nombreux freins administratifs comme financiers, voire sociétaux sont à lever », déplorant par exemple l'absence de solutions proposées par les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) ou le manque de ressources financières des personnes qui les contraignent à aller en établissements, « par défaut ». Elle réclame donc un « plan d'urgence ».
Polyhandicap : l'ONU bafoue les droits
Un cran au-dessus, la réponse la plus critique vient du Groupe polyhandicap France qui estime que « l'ONU bafoue les droits des personnes polyhandicapées ». Même si l'association reconnaît que certaines observations répondent aux « aspirations légitimes de milliers de personnes handicapées qui ne mènent pas la vie qu'elles souhaitent », elle s'interroge, elle aussi, sur les handicaps complexes, qui ont « besoin d'un accompagnement permanent », regrettant d'ailleurs que ce public ne soit « jamais nommé » par l'ONU. « Oubliés. Gommés. Amalgamés à ceux qu'une compensation juste aiderait à surmonter la plupart des difficultés qu'engendre leur handicap. », s'indigne-t-elle. Selon elle, les conclusions du Comité mentionnent « 'les effets néfastes du placement en institution sur les personnes handicapées' sans distinction, généralisant à outrance », faisant valoir, de son côté, les « effets réellement néfastes de l'enfermement à domicile, du manque de contacts sociaux, de l'épuisement des aidants ». Selon elle, « l'institutionnalisation » est « une autre forme de socialisation portée par un accompagnement continu, soutenu, bienveillant et qualifié » et « ouvert sur l'extérieur ». Le GPF réfute donc en bloc cette « idéologie validoformée inadaptée aux besoins de tous ». « Le choix, ce n'est pas seulement pouvoir sortir d'une institution, c'est aussi pouvoir y rentrer… », conclut l'association.
Les adultes autistes très sévères
Dans sa campagne « anti-murs », l'ONU va plus loin encore puisqu'il demande à la France de renoncer également « aux foyers résidentiels de petite taille ». Pourtant, au même moment, l'Etat français engage des moyens décuplés pour favoriser l'habitat inclusif et notamment des unités résidentielles pour personnes autistes dans des situations très complexes (200 000 euros par personne et par an). Elles proposent d'accueillir dans des petits logements au plus près du cœur de ville un groupe de six personnes maximum, avec un encadrement de quatre professionnels pour un résident. Ces dispositifs entendent répondre aux situations critiques de personnes laissées sans solution, qui n'ont souvent d'autre destination que l'hôpital psychiatrique, « ce qui n'est pas un lieu de vie », selon Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap. Cela concernerait 250 adultes en France.
Le Canada dans l'impasse
A l'occasion du bilan sur la stratégie autisme le 21 septembre 2021, la ministre cite l'exemple du Canada qui, ayant fermé tous ses établissements, se retrouve dans l'impasse pour « gérer les cas les plus sévères », laissant certaines familles exsangues, et doit alors se tourner vers des familles d'accueil qui n'ont aucune compétence, voire des maisons de retraite. Dans ce contexte, les objectifs de l'ONU atteindraient-ils leurs limites pour certains publics ? Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes, met néanmoins en garde ; ces dispositifs qui ont le statut de MAS (maison d'accueil spécialisée) restent dans le giron du médico-social. Or, selon elle, « tout fonctionnement institutionnel maintient un système de dépendance, y compris pour les familles qui sont tributaires des règles imposées à leur proche, situation qui favorise parfois la violence ». Pour elle, la seule bonne réponse doit venir de la personne concernée. A condition qu'on ait pris la peine de l'interroger, s'il le faut avec des moyens de communication adaptés...